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Sur un fond sablé d’or, l’eau qui brille et fascine
Creusait là, pour le bain, une fraîche piscine,
Dans l’herbe et dans les fleurs s’encadrait en miroir ;
Onde flatteuse où l’homme a plaisir de se voir,
Et qui tient, l’entourant d’azur et de nuage,
Le rêveur jusqu’au soir penché sur son image.
Sur les branches bercés entre les pommes d’or,
Les oiseaux l’invitaient à cueillir ce trésor.
De leur plus frais carmin les rosiers voulaient luire ;
Les lis s’étaient parés afin de le séduire,
Et d’avoir pour eux seuls les regards de ses yeux
Distraits des fleurs de l’ame et détournés des cieux.

Ainsi, pour l’arracher à sa vision pure
Et pour ôter son cœur aux hommes, la nature,
Les arbres, les fruits d’or, les brises qui chantaient,
Les sources, les oiseaux et les fleurs le tentaient.

Ailleurs, n’espérant plus le vaincre par ses charmes,
Contre lui la nature essayait d’autres armes,
Aux yeux du solitaire active à s’entourer
Des sauvages grandeurs qui la font adorer,
Et tiennent sous son joug, enchaînés par la crainte,
Ceux dont l’ame secoue une plus molle étreinte.

Les cratères éteints se rouvraient tout à coup ;
Des reptiles fangeux sifflaient, dressant le cou ;
De livides éclairs et des oiseaux funèbres
Sur le front de Jésus glissaient dans les ténèbres ;
Furieux de subir un étrange ascendant,
Les tigres contre lui s’élançaient cependant.
Les rochers, les débris des cèdres centenaires
Croulaient sur son chemin lancés par les tonnerres ;
L’orage, enfin, tâchait, en ébranlant son corps,
D’occuper sa grande ame aux choses du dehors.

Mais lui s’arme en priant d’une force paisible,
Il tient son cœur tourné vers le père invisible,
Et, l’homme intérieur dominant ce concert,
L’Esprit parle en son sein plus haut que le désert ;
Nuit et jour il entend sa parole profonde,
Nuit et jour il répond, n’écoutant rien du monde,
Sans ouïr les serpens pas plus que les oiseaux