Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/892

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Là, tandis qu’épuisant la rustique largesse,
Le vieillard et son hôte échangent leur sagesse,
Active à les servir et rêveuse pourtant,
La vierge, à leurs côtés, s’empresse en écoutant ;
Quand le grave discours prolonge la veillée,
Sous le charme qui tient son ame émerveillée,
Le fuseau n’est pas moins agile entre ses doigts ;
Un mot, discrètement, vient révéler parfois
Sa raison, sa candeur ; puis le chant d’un cantique
Marque de doux repos à l’entretien mystique.
— Tel, en nos bois, l’oiseau, qui l’aime et le comprend,
Interrompt le discours du chêne et du torrent. -
Puis, aux soucis du jour versant les vrais dictames,
La prière du soir unit en Dieu leurs ames !
Quelle paix, quelle joie offre cette maison
Au cœur dont son enclos ferait tout l’horizon,
Au mortel investi d’un humble ministère
A qui restent permis les amours de la terre ;
Qui, n’ayant à porter que sa part de douleur,
Ignore encor le poids de l’Esprit du Seigneur !
Heureux l’homme inconnu, sans mission jalouse,
Qui prendrait sous ce toit sa sœur et son épouse,
Et, dotant ce vieillard de rejetons nombreux,
D’un sort pareil au sien se flatterait pour eux !
Mais Dieu donne au prophète une loi plus sévère,
Et lui défend les fleurs qui bordent son calvaire.
Quand l’homme avec sa croix porte les croix d’autrui,
Ce qui fait nos vertus est un piège pour lui.
L’amour, qui purifie et soutient nos cœurs frêles,
Souille un cœur de lévite et fait tomber ses ailes.

Or, Jésus approchait, à tous les yeux caché
Par le buisson en fleurs sur le chemin penché ;
Au travers il peut voir la cour hospitalière
Où parle en ce moment une voix familière.
Près du char des faneurs ployant sous l’heureux faix,
Le vieillard déliait ses taureaux satisfaits ;
Et devant lui sa fille, ignorant qu’à cette heure
Le bonheur qu’elle rêve échappe à leur demeure,
S’offrait en souriant au baiser du matin.
Le platane ombrageait leur rustique festin.
Ah ! si l’hôte adoré se détourne et se montre,
Comme ces cœurs joyeux iront à sa rencontre !