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Baignant leurs fronts fiévreux aux brises matinales,
Des couples nonchalans errent au bord des eaux.
Accoudée au milieu des hôtes les plus beaux,
Madeleine, au balcon ouvert sur les prairies,
Sourit sans les entendre aux molles flatteries.
Belle à faire oublier l’aube qui se levait,
Les yeux vers l’horizon, sans voix, elle rêvait,
En proie au vague ennui que sa pâleur atteste.
Précipitant le pas devant ce seuil funeste,
Le plus beau des humains, mais aussi le plus pur,
Marchait. Or, bien souvent de l’artisan obscur
L’image avait troublé les nuits de Madeleine ;
Elle en gardait au cœur une secrète peine.
A le voir là, si près, ce passant adoré,
Elle a frémi dans l’ame, et peut-être espéré,
Et, couvrant de gaieté le frisson qui l’agite,
Elle ose le nommer de son nom, et l’invite
Aux plaisirs de sa fête, avec un regard tel,
Qu’un roi de sa couronne eût payé cet appel.
Alors l’Adam nouveau qui consentit à naître
Pour être aussi tenté, mais comme un dieu peut l’être,
Lance un regard sévère où pourtant est caché
Le pardon du pécheur sous l’horreur du péché ;
Et, dans le cœur déchu que cet instant relève,
Le douloureux reproche est entré comme un glaive.
Le palais aux plaisirs fut fermé dès ce jour,
Des austères devoirs il devint le séjour ;
Un baptême de pleurs en lava les souillures ;
Le pauvre toucha l’or des coupables parures,
Et, dans un souvenir plongée avec ferveur,
La pécheresse eut foi la première au Sauveur.

Or, longeant à grands pas la moisson déjà blonde,
Jésus suit le chemin qui l’éloigne du monde.
Derrière la montagne aux sinueux contours
Disparaissent déjà Nazareth et ses tours ;
Les bornes sur le sol déjà sont plus disantes ;
Plus rares, les maisons déjà font place aux tentes.
C’est, au lieu des faneurs, la tribu des bergers.
Plus de grasse vallée et de flancs ombragés ;
Dans les maigres sillons déjà percent les roches ;
Tout de la terre inculte annonce les approches.
Un dernier champ d’épis côtoyant le sentier,