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même, il cherchait sous main à se réconcilier avec don Pèdre, et, par l’entremise d’un de ses affidés, traitait du prix de sa soumission, lorsque don Henri en fut informé. Trop faible pour le punir, il n’osa pas même lui reprocher sa trahison ; mais il s’empressa de le renvoyer auprès de Pierre IV, sous prétexte de demander des renforts. Don Tello partit pour l’Aragon, accompagné de quelques hommes dévoués à son frère, chargés de veiller sur sa conduite[1].


III.

Dès que don Pèdre fut en état de monter à cheval, il se mit aussitôt en campagne avec toute son armée forte de cinq mille lances et dix mille hommes de pied. Don Henri, le croyant encore malade sans doute, et ignorant le nombre de ses troupes, s’était affaibli en détachant son frère don Sanche avec un parti contre la ville de Haro ; mais, à l’approche de l’ennemi, il quitta Pancorbo en toute hâte et se replia sur Najera, reprenant la route qu’il avait suivie. Là, il fit mine de résister et se retrancha en dehors de la ville, probablement pour attendre don Sanche en danger d’être coupé. Don Pèdre s’avançait avec lenteur, exerçant de terribles vengeances contre les villes et les châteaux qui avaient accueilli les rebelles. A Miranda, où la populace, excitée par les bannis, avait pillé et massacré les Juifs, il fit arrêter les chefs de l’émeute, et en sa présence même ces misérables furent brûlés vifs ou bouillis dans d’énormes chaudières. Ces effroyables supplices étaient autorisés par d’anciennes lois, mais depuis bien des années on n’en avait fait aucun usage. L’horreur de ces châtimens faisait oublier le crime des coupables[2].

Comme il marchait sur Najera en délibération de combattre, un prêtre, venu de Santo-Domingo de la Calzada, se présenta devant lui, demandant à lui parler en particulier. « Sire, dit-il, monsieur saint Dominique m’est apparu en songe, et m’ordonne de vous avertir que si vous ne vous amendez, don Henri, votre frère, vous tuera de sa main[3]. »

  1. Ayala, p. 302.
  2. Ayala, p. 303. Abreviada. Cfr. note 4 de M. Llaguno. — On peut demander comment, au milieu d’une expédition, don Pèdre trouvait des vases assez grands pour bouillir des hommes ? — Dans toute la Castille on se sert de jarres énormes pour garder le vin, l’huile ou le blé, quelquefois l’eau. Non-seulement un homme, mais plusieurs, pourraient entrer dans une de ces jarres. Leur forme est tout antique. On sait que le tonneau de Diogène était un vase de terre.
  3. Suivant la tradition populaire, cette prédiction fut adressée au roi par le spectre d’un prêtre qu’il avait tué de sa main. Le fantôme ajouta, suivant le style ordinaire des fantômes qui affectionnent l’obscurité : Tu seras pierre à Madrid. En effet, la statue de don Pèdre, placée sur son tombeau par sa petite-fille, abbesse du couvent de Saint-Dominique, se voit encore à Madrid. La tradition que je viens de rapporter a été suivie par Moreto dans sa curieuse comédie du Rico Hombre de Alcalà.