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des chants nouveaux dont les auteurs restèrent inconnus. Selon M. Hermann, Homère serait le premier chanteur qui se serait élevé aux accens de la poésie épique. Jusque-là les poètes s’étaient bornés à donner des préceptes sur la conduite de la vie. La nouveauté de cette tentative expliquerait le prestige qui s’attacha au nom d’Homère et la fidélité avec laquelle ses successeurs se bornèrent longtemps aux sujets qu’il avait choisis. La trace des idées de Wolf se retrouve chez ses adversaires aussi bien que chez ses partisans, sans même en excepter M. Grote, dont M. Mérimée a récemment exposé l’hypothèse dans cette Revue[1]. M. Welcker, dans le livre où il évoque toute cette famille de poètes homériques trop éclipsés peut-être par leur chef[2], fait l’écriture presque contemporaine d’Homère. Il ne voudrait en aucune façon sacrifier l’unité de l’Iliade ni celle de l’Odyssée ; même il n’admet les interpolations qu’avec une grande répugnance ; mais il distingue du moins les auteurs de ces deux poèmes, et, s’il tient à défendre l’œuvre d’Homère, il fait bon marché de sa personne. Homère lui apparaît confusément comme une ombre à travers le mirage des temps. Reprenant une conjecture d’IIgen, il ne voit dans ce nom (arranger) qu’une appellation commune à tous les poètes qui se sont donné la tâche de rassembler et de fondre harmonieusement les chants épars de leurs devanciers. Ainsi Homère ne représenterait que le second âge de la poésie héroïque, et les idées de Wolf devraient subir une sorte de transposition, sans pour cela cesser d’être vraies. Seul, peut-être, M. Nitzsch s’est tenu en dehors de tout accommodement ; aussi a-t-il fait peu de disciples. La vie de M. Nitzsch a été remplie jusqu’ici par ses travaux sur Homère, et ses efforts n’ont eu d’autre résultat que d’obscurcir une question difficile sans doute à résoudre, mais susceptible au moins d’être nettement posée. Ses compatriotes même commencent à se lasser de la barbarie de son langage et du désordre de ses pensées. On peut aller chercher dans ses livres des argumens et des faits, mais personne n’est tenté d’en adopter les conclusions. M. Nitzsch se tient pour assuré qu’Homère a écrit l’Iliade et l’Odyssée ; il ne parle de rien moins, pour expliquer l’invention des arts, que de nous ramener aux fables d’Orphée et de Linus[3].

Dès que les idées de Wolf furent examinées en France sans prévention, après le rapport lucide qu’en fit M. Dugas-Montbel dans son Histoire des poèmes homériques, elles furent accueillies avec la mesure naturelle à l’esprit français. M. Guigniaut et M. A. Viguier furent des premiers à leur donner une adhésion discrète. Un peu plus tard, M. Fauriel

  1. Voyez la livraison du 1er avril 1847.
  2. Das epische Cycles oder die homerischen Dichter. Bonn, 1835.
  3. Voyez de Historia Homeri, Hanovre, 1837, et Erklaerende Anmerkungen zu Homers Odysse, 1826-1840.