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de Pero Nuñez, avant que celui-ci soupçonnât son approche. Prévenu au dernier moment par un écuyer fidèle, ce seigneur n’eut que le temps de sauter à cheval et de gagner à toute bride son château d’Aviados. Il y arriva, poursuivi jusqu’au bord du fossé par le roi, que n’avait pu lasser une traite de vingt-quatre lieues parmi d’âpres montagnes. N’ayant ni le loisir ni les moyens de l’assiéger, le roi l’abandonna pour un temps, et ne pensa plus qu’à s’emparer d’Alvarez Osorio, son complice. Il eut recours à la ruse, le sachant sur ses gardes. Son premier soin fut de le rassurer et de lui persuader qu’il se payait des excuses dont Osorio colorait son espèce de désertion. Il feignit d’être sa dupe, et lui promit la charge d’adelantade de Léon, dont Pero Nuñez venait d’être dépossédé. Telle était l’inconstance et la cupidité de ces riches-hommes, qu’Osorio n’hésita pas à accepter les dépouilles de son complice ; il vint baiser la main du roi et le suivit en Castille. Maintenant, don Pèdre savait si bien composer son visage, qu’il trompait jusqu’à ses plus intimes familiers. Personne ne douta qu’il n’eût rendu ses bonnes graces à Osorio, et toute la cour commençait à le traiter comme un favori. Malgré sa privauté avec le roi, Diego de Padilla lui-même n’était pas mieux instruit de ses desseins, et il semble qu’il dût cette heureuse ignorance à l’opinion qu’il avait inspirée de sa franchise et de son caractère loyal. Il avait invité à dîner le nouvel adelantade, dans une halte que la troupe royale faisait à quelques lieues de Valladolid, où elle se dirigeait. Au milieu du repas, surviennent deux arbalétriers, Juan Diente et Garci Diaz, ministres ordinaires des vengeances du roi ; devant Padilla, saisi d’horreur et d’épouvante, ils égorgent Osorio et lui coupent la tête[1]. Ce meurtre fut bientôt suivi d’autres exécutions non moins sanglantes. Dans sa marche rapide, don Pèdre faisait arrêter tous ceux qu’il avait convaincus ou soupçonnés d’intelligence avec le comte de Trastamare. Il les traînait quelque temps à sa suite, puis les faisait décapiter. Au nombre des victimes, il faut remarquer un ecclésiastique, l’archiprêtre de Diego de Maldonado, accusé d’avoir reçu une lettre de don Henri[2].

Tant de rigueurs ne rendaient pas la noblesse plus fidèle. Tandis que le roi faisait tomber des têtes en Castille, Gonzalo Gonzalez Lucio, gouverneur de Tarazona, livrait cette place au roi d’Aragon. Il y avait deux ans que ce chevalier, lieutenant de Hinestrosa, traitait secrètement avec Pierre IV et laissait marchander sa fidélité. Il lui fallut cependant un prétexte pour colorer sa trahison, et il s’y fit autoriser par le légat, qui avait toujours protesté contre l’occupation de Tarazona, attaquée, ainsi qu’on l’a vu, pendant une trêve. Un présent de quarante

  1. Ayala, p. 298.
  2. Id., p. 299.