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si bien que cette opinion, téméraire aujourd’hui, paraît avoir été dominante dans l’antiquité. Faut-il donc, au mépris de tous ces témoignages, se rendre à l’imposante, mais unique autorité d’Aristote ? On est tenté de croire en vérité que dans cette occasion c’est Aristote qui a été le novateur ?

L’histoire des poèmes homériques ne se termine pas au travail de Pisistrate. Les diaskevastes ou arrangeurs continuèrent son œuvre assez maladroitement, à ce qu’il semble, si l’on en juge par la mauvaise humeur que causent leurs interpolations aux critiques d’Alexandrie ; puis vint l’ère des philosophes et des sophistes. L’ensemble des poèmes homériques, qui nous fait illusion aujourd’hui, était alors définitivement arrêté, et le temps n’était pas arrivé encore des interprétations grammaticales. Les philosophes, témoins de l’admiration superstitieuse de leurs contemporains, en craignirent les effets ; ils tentèrent d’expliquer par des allégories tout ce qui semblait s’écarter d’une morale sévère et pouvait diminuer le respect dû à la divinité. Les combats des héros et des dieux exprimèrent la lutte des passions ou les désordres de la nature physique. Ainsi Homère, de plus en plus épuré, devenait le type de la sagesse antique. C’est dans le même esprit que les critiques de nos jours ont fait de lui le représentant de la science universelle ; quelques-uns même ont voulu démêler dans ses poèmes les élémens de chaque science en particulier. Est-il nécessaire de dire combien c’est là une tentative vaine ? Tout se trouve dans Homère, mais à la condition de l’y laisser. Cette précoce expérience disparaît sous une étude trop attentive, comme les fleurs des champs si délicates qu’elles se flétrissent dès que la main s’approche pour les cueillir.

Un jour, grace à la munificence des Ptolémées, se trouvèrent réunis à Alexandrie tous les manuscrits d’Homère ; ces matériaux servirent de base aux travaux des grammairiens. La langue avait assez vieilli, et surtout les mœurs héroïques étaient assez oubliées pour qu’il fallût aider l’intelligence des lecteurs. Des poètes heureusement doués, Aratus, Apollonius, Philétas, unirent leurs efforts à ceux de Zénodote, de Zoïle, d’Aristarque, de Cratès. C’est surtout pour cette période que Wolf mettait à profit les scholies de Venise ; il y retrouvait tous les doutes qui avaient agité l’antiquité et y reconnaissait ses ancêtres. Wolf descendait de ces chorizontes ou séparateurs, qui déjà refusaient d’attribuer au même poète l’Iliade et l’Odyssée, et dont M. B. Constant s’est fait chez nous l’éloquent interprète. Il caractérisa l’esprit des plus éminens critiques d’Alexandrie ; il blâma les libertés que Zénodote avait prises avec le texte d’Homère, tout en lui sachant gré de s’être reporté en général à une tradition plus ancienne. Aristophane de Byzance paraît avoir été plus réservé. Le nom d’Aristarque est devenu l’expression même du bon goût dans la critique : Wolf cependant ne pouvait être de l’avis de