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dernier désigna pareillement ses fondés de pouvoirs, et cependant ne cessa point de fournir de l’argent et des soldats au comte de Trastamare. Il est juste de dire qu’on n’avait point stipulé de trêve pendant la durée des négociations qui allaient s’ouvrir sous les auspices du cardinal-légat.

Ces conférences eurent lieu à Tudela en Navarre, et commencèrent avec l’année 1360. Là, Gutier Fernandez de Tolède, plénipotentiaire de Castille, s’aperçut bientôt que l’envoyé du roi d’Aragon ne cherchait qu’à gagner du temps, tandis que don Henri achevait ses préparatifs, et que ses nombreux émissaires allaient au loin tenter la fidélité des riches-hommes et des gouverneurs du roi. Naturellement, Fernandez eut de fréquentes occasions de voir plusieurs émigrés avec lesquels il avait eu autrefois des relations d’amitié ; leurs espérances, leurs desseins ne lui échappèrent point ; ils n’en faisaient pas mystère. Il sut tout ce qu’ils attendaient de l’entrée de don Henri, et les promesses de ses adhérens cachés, et les séductions exercées avec succès à l’égard de quelques-uns des affidés de son maître. Surpris de trouver toujours don Henri seul à la tête de ces trames, il s’aboucha avec quelques gentilshommes attachés à l’infant d’Aragon, et bientôt, par leur moyen, entra en relations avec ce prince. Quel était son dessein ? on l’ignore. S’il en faut croire Ayala, il se bornait à lui faire des offres de pardon et des promesses, s’il voulait quitter le service de l’Aragonais et rentrer en Castille. Il s’efforçait d’exciter sa jalousie et de lui persuader qu’il était sacrifié par le roi d’Aragon à un aventurier intrigant. À ce compte, Fernandez aurait employé contre les ennemis de don Pèdre les armes dont ils faisaient contre lui un si dangereux usage, et son but était de les affaiblir en les divisant. Toutefois on a peine à croire qu’il se livrât à ces ténébreuses menées sans une arrière-pensée coupable, car l’on ne comprend pas pourquoi il eût caché à son maître les ouvertures qu’il faisait en son nom. Quoi qu’il en soit, ces intrigues ne purent être conduites avec tant de mystère que don Pèdre n’en fût bientôt instruit. Il se garda d’abord d’en rien laisser paraître, et continua de montrer la même confiance à Fernandez, attendant avec patience qu’il fût en mesure de le punir. Maintenant, d’ailleurs, la prochaine expédition du comte de Trastamare réclamait toute son attention. Il quitta précipitamment Séville, publiant qu’il se rendait à Burgos ; mais, suivant son habitude, avant de défendre ses frontières contre un ennemi déclaré, il ne voulut pas laisser derrière lui d’ennemis secrets. Depuis quelque temps, il suivait de l’œil toutes les démarches de Pero Nuñez de Guzman et d’Alvarez Osorio, ces deux riches-hommes qui avaient quitté leurs drapeaux si vite après le combat d’Araviana. Au lieu de prendre la route directe de Burgos, le roi, marchant avec cette célérité merveilleuse qui lui avait déjà réussi, parut tout à coup dans le royaume de Léon et sur les domaines