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d’ailleurs, croyait trouver dans l’homme en possession de la gloire qu’il rêvait tout l’enthousiasme qu’on sent à vingt ans ; il prit la froideur de Heyne pour de l’égoïsme, les craintes que l’expérience lui suggérait pour une désertion coupable des intérêts de la science. De son côté, Heyne, jaloux de son autorité, sentit qu’il aurait sur Wolf peu de prise et, laissant le jeune étudiant à lui-même, il se contenta de l’observer de loin.

Pendant son séjour à l’université de Goettingue, Wolf ne fit rien pour mieux connaître Heyne et se faire mieux venir de lui. Quelques leçons qu’il entendit sur Homère ne le satisfirent pas. Sans doute de secrets pressentimens le rendaient trop difficile ; il cessa de suivre le cours de Heyne. Il apporta la même irrégularité aux leçons des autres professeurs ; cela devint chez lui une habitude et presque une méthode. Les premiers jours, il recueillait de la bouche du maître les indications qui pouvaient guider ses recherches, puis, s’inquiétant assez peu du jugement des autres quand il avait de quoi former le sien, il achevait le cours à lui seul. Heyne remarqua ces irrégularités et ne dissimula pas son mécontentement. Cela n’empêcha pas cependant qu’il intervînt, d’assez mauvaise grace il est vrai, pour procurer à Wolf une place au collége d’Ilfeld. Une fois établi dans les modestes fonctions de régent, Wolf jugea que le moment était venu de se mettre à l’œuvre, et prépara une édition du Banquet de Platon, qui parut en 1782. Sans faire une recension complète du texte, il proposa un grand nombre de corrections ; presque toutes ont été conservées par les derniers éditeurs. Ce qui recommande surtout ce travail, c’est une analyse développée du Banquet. Pénétré de son modèle, l’écrivain en reproduit souvent l’élévation et la grace. La seule infidélité qu’il se permit fut d’adoucir, sans les dénaturer, les passages dans lesquels, au nom d’un spiritualisme sans mesure, se trouvent consacrées lus tristes aberrations de la sensualité antique.

L’édition du Banquet ne tarda pas à attirer l’attention du ministre de Prusse, M. de Zedlitz, et Wolf fut appelé à l’université de Halle (1783). A vingt-quatre ans, il avait enfin trouvé le théâtre sur lequel devaient se déployer son activité et sa puissance : Hic illius arma, hic currus fuit, dit son biographe, M. Koerte[1]. Il était dans toute la plénitude de sa force. Ses facultés avaient grandi librement ; le développement du corps n’avait pas souffert en lui du travail forcé de l’intelligence. Doué d’un haut sentiment de lui-même, il pouvait déjà prévoir ce que lui réservait l’avenir.

  1. Voyez Leben und Studien F. Aug. Wolf’s, par M. Koerte. Essen, 1833. Outre cette biographie beaucoup trop diffuse, on peut lire avec intérêt : Erinnerungen an F. A. Wolf, par M. Hanhart. Bâle, 1825.