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mettre quelques personnes en garde contre le discrédit où ont été tenues trop long-temps les études sérieuses. On témoigne aujourd’hui une certaine estime pour les choses d’érudition, on leur fait une place, mais on les tient encore à distance. Cet isolement est également fâcheux pour les savans et pour ceux qui tiennent à ne pas l’être. La science n’est-elle pas le foyer d’où se répand au dehors cette instruction facile et légère, cette vivacité d’impressions et de souvenirs qui est un des attraits de notre société, et ne mérite-t-elle pas à ce titre l’intérêt de tout homme sensible aux jouissances de l’esprit ? Si des agrémens d’une conversation polie on s’élève à la considération des œuvres de l’art, on est amené aussi à reconnaître que l’imitation classique peut porter malheur aux esprits médiocres, mais que les grands esprits ont toujours gagné au commerce de l’antiquité ? Il y a une imitation stérile et une imitation féconde. Ce n’est point par hasard que Dante a choisi Virgile pour guide ; il ne paraît pas cependant que son admiration pour son maître ait coûté beaucoup à son originalité. De nos jours encore, ce haut et délicat sentiment de l’antiquité qui chez nous ne se développe guère hors du cercle de la vie universitaire ou académique, l’Allemagne le mêle à l’étude de la philosophie et de la littérature nationales. Les philologues éminens ne forment pas une société à part, suspecte aux yeux du monde. Ouverte aux idées du dehors, l’école verse à son tour sur tout ce qui l’environne le trésor de science amassé par ses méthodiques labeurs. Quelquefois même on a vu les hommes les plus considérables dans les lettres revenir passagèrement aux études philologiques qui ont formé leur enfance. Lessing, vers la fin du dernier siècle, discute plusieurs questions de littérature grecque ou latine avec une sûreté de critique qui ferait honneur à Bentley ; Wieland commente Horace et Cicéron en érudit consommé ; Goethe imite Properce et traduit Euripide. Plus contestée par la dernière génération, qui a toutes les impatiences et l’ingratitude de la jeunesse, la philologie a cependant encore devant elle un brillant avenir ; de temps à autre se font jour des aperçus nouveaux qui lui donnent une impulsion plus forte. Il y a quelques années, M. G. Welcker, l’un des hommes qui ont le plus heureusement mêlé l’imagination aux recherches érudites, a présenté cette branche de nos connaissances sous un nouvel aspect. Inquiet du progrès un peu exclusif des sciences physiques, il tente par une surprise ingénieuse d’y rattacher l’étude de l’antiquité ; il appelle la grammaire, pour qui on ne peut le soupçonner de partialité, l’histoire naturelle des langues. En partant de cette définition, le philologue, qui ne se borne pas, comme on le croit communément, à l’analyse des mots, mais qui a pour mission de recomposer historiquement les œuvres de l’art et de la science, le philologue, recueillant de toutes parts les élémens d’un monde oublié et embrassant ce vaste ensemble du point de vue élevé des générations modernes,