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souffrit long-temps et criait d’une voix lamentable : Jésus, fils de Dieu éternel, ayez pitié de moi ! On dit que, pour abréger ses souffrances, quelques gens du peuple allèrent chercher du bois mort et le jetèrent dans le bûcher. Après une demi-heure d’affreux tourmens, il expira.


La tradition populaire qui représente Calvin caché derrière une fenêtre pour repaître ses regards du supplice de Servet ne repose sur aucun témoignage authentique ; mais il est permis d’y voir une vive et symbolique image de l’acharnement que déploya Calvin, même après la condamnation de son ennemi. Voici en quels termes il raconte sa mort. Ce sera un dernier trait pour achever le tableau :


« Au reste, afin que les disciples de Servet ou des brouillons semblables à luy ne se glorifient point en son opiniastreté furieuse, comme si c’étoit une constance de martyr : il faut que les lecteurs soyent advertis qu’il a monstré en sa mort une stupidité brutale, dont il a été facile de iuger que jamais il n’avoit parlé n’y escrit à bon escient, comme s’il eust senti de la religion ce qu’il en disoit… Quand ce veint au lieu du supplice, nostre bon frère M. Guillaume Farel eut grand peine à arracher ce mot, que il se recommandast aux prières du peuple, afin que chascun priant avec luy. Or cependant ie ne say en quelle conscience il le pouvoit faire, estant tel qu’il estoit : car il avoit escrit de sa main la foy qui regne icy entre diabolique ; qu’il n’y a ne Dieu, ne église, ne chrestienté, pource qu’on y baptize les petits enfans. Comment doncques est-ce qu’il se conjoignoit en prières avec un peuple duquel il devoit fuir la communion, et l’avoir en horreur ?… Servet prioit comme au milieu de l’église de Dieu. En quoy il montroit bien que ces opinions ne lui estoyent rien. Qui plus est, combien qu’il ne feist jamais de dire un seul mot pour maintenir sa doctrine ou pour la faire trouver bonne, je vous prie que veut dire cela, qu’ayant liberté de parler comme il eust voulu, il ne feit nulle confession ne d’un costé ne d’autre, non plus qu’une souche de bois ? Il ne craignoit point qu’on luy coppast la langue, il n’estoit point baaillonné, on ne lui avoit point défendu de dire ce que bon lui sembleroit. Or, estant entre les mains du bourreau, combien qu’il reffusast de nommer Jésus-Christ fils éternel de Dieu, en ce qu’il ne déclaira nullement pourquoy il mouroit, qui est-ce qui dira que ce soit une mort de martyr[1] ? »

Je ne crois pas que le fanatisme théologique ait jamais rien inspiré de plus froidement atroce que ces paroles. — Quoi ! dirais-je à Calvin, il ne vous a pas suffi d’ôter la vie à Servet, vous voulez encore déshonorer sa mort ! Que vous ayez fait la guerre à ses idées, je le comprends, vous les croyiez fausses ; que vous détruisiez ses écrits, les tenant pour dangereux, j’y consens encore, bien qu’il eût suffi de les réfuter. Que vous portiez la main sur sa personne, que vous punissiez une erreur d’esprit du dernier supplice, c’est un attentat dont vous partagez la responsabilité avec tout votre siècle. Mais après avoir frappé

  1. Déclaration, etc.., p. 95, 96.