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qui s’opposait aux violences de Calvin, c’est que ce fut malgré lui, nobis reclamantibus, dit-il lui-même, que fut prise la résolution de communiquer aux églises suisses les pièces de la discussion et de leur demander leur avis.

Dans l’affaire de Bolsec, l’église de Berne, consultée, avait adressé aux Genevois cette noble et mémorable réponse (1551) :


Plus nous y réfléchissons, plus nous sommes convaincus qu’il ne faut pas procéder avec trop de sévérité contre ceux qui sont dans l’erreur, de peur qu’en voulant maintenir à tout prix la pureté des doctrines, nous ne manquions à la règle de l’esprit du Christ… Christ aime la vérité, mais il aime aussi les ames, même lorsqu’elles s’égarent… Nous approuvons votre zèle pour maintenir la vérité, toutefois nous vous conjurons de réfléchir combien on ramène mieux les esprits dans le droit chemin par la mansuétude que par la rigueur… »


Pourquoi la réforme n’est-elle pas restée fidèle à ces maximes vraiment évangéliques ? pourquoi l’ame de Calvin ne s’est-elle pas ouverte une seule fois à cet esprit de douceur et de pardon ? Loin de là : l’unique préoccupation de ce cœur implacable, c’est que les églises suisses ne conseillent pas la mort ; et, comme il n’avait pas hésité à prêcher publiquement contre son adversaire absent et prisonnier[1], il employa toute son influence à obtenir des églises suisses des paroles qui fussent mortelles pour un ennemi déjà vaincu. Ses lettres à Bullinger, chef de l’église de Zurich, et à Sulzer, pasteur de Bâle, attestent l’excès de son acharnement. Nous voyons par la réponse de Bullinger que Calvin, feignant un profond découragement, annonçait, comme dans toutes les occasions critiques, qu’il allait se retirer


« Le récit de Walter, mon gendre, m’a rendu triste et inquiet ; n’abandonne pas, je t’en conjure, une église qui renferme tant d’hommes excellens. Supporte tout à cause des élus ; pense quelle joie ta retraite produirait chez les adversaires de la réforme, et de quels périls elle serait accompagnée pour les réfugiés français. Reste ; le Seigneur ne te délaissera pas. Aussi bien a-t-il offert au très magnifique conseil de Genève une bien favorable occasion de se laver, lui et l’église, de la souillure de l’hérésie en livrant entre ses mains l’Espagnol Servet. Si on le traitait comme mérite de l’être un impudent blasphémateur, le monde entier déclarerait que les Genevois ont en horreur les impies, qu’ils poursuivent du glaive de la justice les hérétiques vraiment obstinés, et qu’ils maintiennent ainsi la gloire de la majesté divine. Toutefois, lors même qu’ils n’agiraient pas ainsi, tu ne devrais point, en quittant cette église, l’exposer à de nouveaux malheurs. »


Les manœuvres de Calvin réussirent. Les quatre églises consultées

  1. « Ipse eum in carcere absentem quotidianis concionibus ad populum invidiosissime traduxit. » (Contra libellum Calvini, p. 25.) - Cette accusation est lancée, il est vrai, par un adversaire ; mais elle n’a pas été démentie par les amis de Calvin.