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malheureusement d’accord sur ce point avec les anabaptistes, secte détestée qui avait failli perdre le protestantisme en l’égarant des questions religieuses aux questions sociales, en niant avec l’autorité de l’église celle du magistrat et avec le baptême la propriété. C’était une bonne fortune pour Calvin, que de signaler un trait d’analogie entre son adversaire et des sectaires factieux. Servet ne sut pas ou plutôt ne voulut pas éviter l’écueil. Sommé de répondre s’il a enseigné « que le baptesme des petis enffans est une invention diabolique, une faulseté infernalle pour destruire toute la chrestienté, — confesse avoir dict et escript tout le dict interrogat[1]. »

Le lendemain, 16 août, l’audience du conseil est reprise, et nous y voyons paraître pour la première fois deux personnages importans, Colladon et Berthelier ; Colladon, le bras droit de Calvin, comme lui réfugié et Français, comme lui jurisconsulte, et comme lui aussi fanatique et sans pitié. Il prend place au sein de l’assemblée en qualité de parlier ou avocat de La Fontaine. Berthelier préside le conseil. Le parti des libertins et des patriotes, dont il est avec Amied Perrin le plus illustre chef, est en face du parti des réfugiés et des vrais calvinistes, personnifié dans Colladon. Il paraît que Berthelier ne cacha pas son intention de servir d’appui à l’accusé. Aussi, à la séance suivante (17 août), Calvin se présente et vient combattre de sa personne, escorté d’un certain nombre de ministres.

On ne saurait donner aujourd’hui une juste idée de ces étranges débats où les passions les plus ardentes se recouvrent, pour ainsi dire, d’une croûte épaisse de pédantesque érudition, où la théologie la plus raffinée fournit seule les armes dont les deux adversaires cherchent à se frapper mortellement. A des inculpations sérieuses se mêlent d’atroces chicanes. Ainsi, Colladon et Calvin ne rougissaient pas d’imputer à Servet, comme un crime, une phrase de la géographie de Ptolémée, éditée par ses soins, où la Terre-Sainte est représentée comme une contrée stérile, à l’encontre du récit de Moïse, qui en vante la fertilité. C’est là, disaient à Servet ses accusateurs, le discours d’un athée. — « Oncq n’ai fait que translater, répondait l’accusé, c’est Ptolémée qui est athéiste. » Sur quoi Calvin, prenant la parole : « Je fus bien aise, dit-il, de clore la bouche à ce mécréant, et je lui demandai pourquoi alors il avait signé le travail d’un autre. Tant y a que ce villain chien, estant ainsi abattu par si vives raisons, ne put que torcher son museau en disant Passons outre, il n’y a point là de mal[2]. »

Calvin raconte un autre incident de la discussion, où, comme on pense bien, tout l’avantage est de son côté. Il s’agissait de savoir si les

  1. Interrogatoire du 14 août, pièce inédite du manuscrit des archives de Genève.
  2. Tractatus theolog., p. 846. — Déclaration pour maintenir, etc,, p. 1354.