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Cet homme fut son propre secrétaire, Nicolas de La Fontaine, qu’il appelle nettement un homme à lui, Nicolaus meus[1]. Au surplus, Calvin n’avait aucun doute sur l’issue du procès : « J’espère, écrivait-il à son ami Farel dès le 20 août, que la peine sera capitale[2]. »

Le lendemain de l’arrestation, le seigneur lieutenant Pierre Tissot se rendit à l’évêché où Servet et La Fontaine étaient emprisonnés et interrogea l’accusé. La base de cet interrogatoire et de tout le procès, ce fut une plainte évidemment dictée par Calvin à son secrétaire et où la vie et la doctrine de Servet se résumaient en trente-huit articles qui formaient autant de chefs d’accusation d’une précision et en général d’une exactitude accablantes. Les réponses de Servet furent consignées sur un procès-verbal, après quoi « le dict de La Fontaine et le dict Servet ont été remis à Jehan Grasset, serviteur de carcerier, à peine de sa vie, comme criminels. Et a déclairé le dict Servet qu’il a remys au dict Grasset nonante sept escus soleil, item une chesne dor poilant environ vingt escus, item six anneaux dor. » Cet argent et ces bijoux, qui se composaient d’une « grande torquoisse, un saphyr blanche, une table de dyamant, un rubys, une grande emyraude du Perruz, ung anneaulx de cornaline à caicheter[3] » furent, non pas volés, comme le conte Voltaire[4] mais déposés entre les mains de Pierre Tissot, qui en rendit à la seigneurie un compte exact quand le procès fut terminé.

Le 15 août, Servet comparaît devant le petit conseil. Interrogé de nouveau sur chacun des trente-huit articles, il reproduit ses réponses elles sont remarquables de franchise et d’habileté. Il ne dissimule rien, ne rétracte rien ; mais il présente ses opinions sous le jour le plus spécieux, glisse sur les questions théologiques, et s’applique à montrer en lui un savant paisible, un homme d’étude et de cabinet, objet de la haine personnelle de Calvin. Il accuse hautement le réformateur de l’avoir dénoncé à Vienne, « tellement qu’il n’a tenu audict Calvin qu’il nayt été bruslé tout vifz[5]. »

Bien que ce système de défense fût habilement approprié à une assemblée plus politique que théologienne, et où Calvin avait beaucoup d’ennemis, le conseil jugea l’accusation assez fondée pour ordonner la mise en liberté de La Fontaine sur caution. Nous avons dit que cette caution fut fournie par le propre frère du réformateur, Antoine Calvin,

On peut conjecturer que l’accusation qui parut la plus grave au conseil fut celle qui passerait aujourd’hui pour la plus légère, je veux dire l’accusation relative au baptême des petits enfans. Servet se trouvait

  1. Calvin à Farel, 15 août 1553.
  2. Calv. Epist., p. 290.
  3. Registres du conseil du 30 octobre 1553. >
  4. Lettre au président Hénaut.
  5. Procès-verbal de la séance du 15 août ; pièce inédite du manuscrit de Genève.