Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/831

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la prison, et passa dans le Lyonnais, ainsi que le déposa une paysanne qui l’avait rencontré, mais qu’heureusement pour lui on n’interrogea que trois jours après. Plus de deux heures s’écoulèrent avant que l’on s’aperçût de son évasion. La femme du geôlier en fut avertie la première, et fit cent extravagances, qui marquaient son désespoir. Elle s’arracha les cheveux, battit ses domestiques, ses enfans, et tous les prisonniers qu’elle rencontra, et, sa colère lui faisant braver le péril, elle courut sur les toits des maisons voisines pour tâcher de découvrir le captif évadé. Le vibaillif, de son côté, donna ordre que les portes fussent fermées et gardées cette nuit prochaine et les suivantes. Après les proclamations à son de trompe, on fit des perquisitions exactes dans presque toutes les maisons, de même qu’à Sainte-Colombe. On écrivit aux magistrats de Lyon et des autres villes où l’on présuma que Servet aurait pu chercher un asile. On n’oublia pas de s’informer s’il avait de l’argent en banque, et tous ses papiers, meubles et effets furent inventoriés et mis sous la main de la justice.

L’opinion commune à Vienne fut que le vibaillif, ami intime de Servet, qui avait guéri sa fille unique d’une dangereuse maladie, favorisa l’évasion du prisonnier. Il est certain que Michel Servet s’était fait beaucoup d’amis à Vienne, qu’il y jouissait d’une grande considération par son habileté dans l’art de la médecine et par la douceur de son caractère, qu’on lui laissa dans sa prison beaucoup de liberté et des sommes considérables d’argent. Enfin, si la procédure instruite contre le geôlier le disculpa de toute complicité, il fut prouvé qu’une de ses servantes avait dit à Benoît Perrin, en présence de plusieurs personnes : « Laquais, allez dire à vostre maistre qu’il se sauve par derrière le jardin[1]. »

Après l’évasion de Servet, le procès continua. L’imprimerie clandestine d’Arnollet fut découverte ; les balles d’exemplaires de la Restitution du Christianisme, envoyées à Pierre Merrin, à Lyon, furent saisies ; enfin le vibaillif prononça sa sentence conformément aux conclusions du procureur du roi. Elle condamnait Michel Servet en la somme de mille livres tournois envers le roy daulphin,

« Et a estre incontinent qu’il sera aprehendé, conduit sur ung tombereau

  1. Interrogé à Genève sur son évasion, Servet répondit en ces termes :
    Respond qu’il est vray qu’il fut prisonnier à Vienne à la poursuite de monsieur Calvin et Guillaume Trye, mais qu’il évada de prison pour ce que les prebstre le voulloient faire brûler ; toutesfoys que les prisons lui estoient tenues comme si on eust voullu que se saulvast. (Interrogatoire du 14 août, dans le manuscrit de Genève, pièce inédite.) - Dans la séance du 17 août, au petit conseil, on pressa Servet de s’expliquer plus clairement. Voici ses paroles : Et a respondu qu’il demerit que deux jours en prison, et puys de matin sen sortit. Car le viballifz qui lui portoit faveur commanda au ieolier de le laisser aller par un iardin et de le traicter bien pour ce qu’il avoit aydé de la medecine à mons. de Maugeron duquel le dict vybaillifz estoit amys. (Manuscrit de Genève, pièce inédite.)