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C’est à Genève qu’on fait généralement commencer le combat des deux adversaires. Voltaire lui-même, à qui le bûcher de Servet a inspiré une indignation si éloquente, Voltaire ne paraît pas avoir connu la première partie de la lutte[1], celle où Calvin, caché dans l’ombre, avec l’arme lâche et perfide de la dénonciation, porte à son adversaire le premier coup.

Le drame, en effet, a deux actes. Il se dénoue à Genève, c’est à Vienne qu’il commence. A Genève, Servet a pu paraître l’agresseur ; à Vienne, l’agresseur, c’est évidemment Calvin. A Genève, la conduite de Calvin peut être expliquée sans trop de dommage, je ne dis pas pour la noblesse et la générosité de son caractère, mais du moins pour sa loyauté. A Vienne, elle ne souffre aucune justification. On conçoit que les écrivains qui éprouvent encore aujourd’hui pour Calvin une sympathie assez naturelle, M. Guizot en France, M. Paul Henry en Allemagne, et en Suisse M. Rilliet de Candolle, aient laissé dans l’ombre l’affaire de Vienne[2] ; mais l’histoire ne connaît pas les ménagemens des partis ; c’est cette odieuse affaire qu’elle doit d’abord éclaircir.


Parmi les réfugiés qui entouraient Calvin à Genève et formaient le cœur de son parti, il y avait un Lyonnais, nommé Guillaume Trie, qui, par zèle religieux et aussi peut-être par suite de mauvaises affaires, s’était expatrié et avait embrassé la religion réformée. Il entretenait une correspondance suivie avec un de ses parens, Antoine Arneys, établi à Lyon, catholique ardent, qui voyait avec grand déplaisir un membre de sa famille engagé dans l’hérésie, et s’efforçait de le ramener au giron de l’église. Guillaume Trie, homme simple et sans lumières, incapable de répondre aux objections qu’on lui adressait, montrait les lettres de son parent à Calvin, qui lui dictait ses réponses. La docile simplicité de Guillaume Trie et le zèle fanatique d’Arneys furent les deux instrumens dont Calvin résolut de se servir pour perdre son ennemi.

Le 26 février 1553, Trie écrivit à son parent la lettre suivante, où tout était visiblement calculé avec la plus adroite perfidie pour porter Arneys à une dénonciation[3]. Calvin[4] a nié toute participation à cette lettre flétrissante, mais sa trace y est partout empreinte, et il est incontestable aujourd’hui qu’il l’a dictée.

  1. Voltaire, Essai sur les Moeurs, ch. 131. — Comp. Lettre au président Hénaut, 26 février 1768.
  2. Guizot, Vie de Calvin, dans le Musée des protestans célèbres, t. II, part. 2, p. 106. — Paul Henry, Das Leben J. Calvins. Hambourg, 1835-1838. — Rilliet de Candolle, Mémoires et Documens, etc., p. 9 et 10.
  3. Cette lettre a été copiée par D’Artigny aux archives de l’archevêché de Vienne. Voyez D’Artigny, Nouveaux Mémoires d’histoire, de critique, etc., t. II, p. 55 et suiv.
  4. Déclaration pour maintenir la vraye foi, p. 1337.