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sont retournées en Europe avec des collections qui font l’admiration et l’envie de tous les naturalistes ; nous allons glaner sur leurs traces et tâcher de compléter leurs travaux. Notre dessein est d’aller d’abord à Cadix, où il nous sera facile de nous embarquer immédiatement l’Amérique, car il y a toujours dans ce port des vaisseaux en partant pour toutes les contrées du globe. Nos préparatifs de voyage sont terminés, et c’est demain que nous quittons Civita-Vecchia pour passer en Espagne sur un joli brigantin de cette nation.

« M. l’abbé t’offre ses très humbles services et te renouvelle ses respects. Le digne homme s’était desséché durant les vingt années qu’il a vécu autour de notre grand-oncle ; maintenant qu’il change de place à son plaisir et qu’il va herborisant tout le jour de côté et d’autre, il engraisse jet rajeunit à vue d’œil.

« Je viens de me mettre un moment à ma fenêtre qui donne sur le port ; la mer est belle, le vent favorable, et sans doute notre brigantin sarpera au point du jour. Ces lignes sont donc le dernier adieu que je t’envoie. Oh ! ma chère petite sœur, ma bonne Clémentine, j’éprouve un chagrin extrême en écrivant ces mots ; il me semble que je me sépare encore une fois de toi. Va, malgré ma passion pour les voyages, je suis triste en ce moment, et je regrette la Roche-Farnoux ! La soirée est avancée ; voici l’heure où nous montions à la bibliothèque. À présent que tu es seule, tu n’y vas plus… Toutes ces pensées me font venir les larmes aux yeux.

« Je ne te prie point de me garder une place dans ton souvenir et dans ton cœur, car je sais que tu m’aimes et que tu ne m’oublieras pas. Adieu, ma bonne Clémentine, ma mignonne petite sœur ; je t’embrasse de toute mon âme, et suis avec les sentimens d’une parfaite amitié tout à toi pour la vie.

« ANTONIN DE BARJAVEL. »

« Lorsque cette lettre te parviendra, je serai peut-être déjà sur le grand Océan, voguant vers l’Amérique. Adresse-moi ta réponse à Paramaribo, dans la Guyane hollandaise. »

Après cette lecture, Mlle de l’Hubac laissa tomber la lettre d’Antonin sur ses genoux, et demeura la tête baissée, le regard fixe, la bouche entr’ouverte et muette ; il y avait dans ce silence et cette immobile une telle expression, que La Graponnière se rapprocha inquiet, et que la vieille fille s’écria : — Vous avez reçu de mauvaises nouvelles de votre cousin ?

Clémentine ne répondit pas et lui tendit la lettre.

— Bonté divine ! est-ce qu’il serait arrivé malheur à M. le baron ? demanda La Graponnière avec anxiété.

— Non, grâces au ciel lui dit Mlle de l’Hubac d’une voix faible ; mais nous ne le reverrons peut-être jamais. Il est parti pour l’Amérique.