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victoire. Il proposait d’ailleurs que les galères prissent à la remorque dix des plus gros vaisseaux qu’elles mettraient en ligne au milieu d’elles. Quant aux autres navires à voiles que le calme condamnait à l’immobilité, il voulait que, pendant le combat, ils détachassent contre l’ennemi toutes leurs chaloupes remplies d’arbalétriers. Don Pèdre s’obstinait à rester à son bord. On perdit beaucoup de temps à délibérer, puis à se préparer à la bataille. Pendant qu’on remorquait péniblement les navires à voiles, les galères aragonaises, ayant reconnu la supériorité des Castillans, faisaient force de rames et parvenaient à se jeter dans la rivière de Denia sous la protection des forts et des milices valenciennes accourues sur la plage. On désespéra de les forcer dans cette retraite.

Pendant deux jours don Pèdre leur présenta vainement la bataille. Cabrera demeura immobile dans la rivière, où le roi n’osa point s’engager. Las de ce blocus inutile, et sans espoir d’attirer l’ennemi au combat, don Pèdre prit le parti de la retraite et gagna lentement Carthagène avec toute sa flotte, après avoir fait près d’Alicante une démonstration de descente qui fut repoussée. A Carthagène, les galères portugaises, qui, d’après leur traité, ne devaient demeurer que trois mois aux ordres du roi de Castille, le quittèrent pour regagner leurs ports. Ce fut le signal de la dispersion générale. Les navires marchands congédiés rentrèrent dans l’Océan ; les galères castillannes allèrent désarmer à Séville, les vaisseaux maures à Malaga[1]. De sa personne, le roi partit de Carthagène pour courir au château de Tordesillas, où Marie de Padilla allait bientôt lui donner un fils. Telle fut la fin de cette grande expédition sur laquelle le roi avait fondé de si hautes espérances. Après tant de préparatifs, tant de dépenses, cette flotte, qui devait conquérir la Catalogne, rentrait au port ramenant pour tout trophée la carraque prise aux Vénitiens. Cette capture avait échauffé l’avidité des capitaines castillans. Ils représentèrent à don Pèdre que, s’étant attiré déjà l’inimitié de la République en prenant un seul vaisseau, il fallait recueillir les profits d’une rupture désormais inévitable. Douze vaisseaux de Venise, venant de Flandre, richement chargés, allaient passer le détroit de Gibraltar ; on proposa de les arrêter au passage. Cet acte de piraterie contre des neutres fut, dit-on, approuvé par le roi, qui donna l’ordre à vingt galères de croiser dans le détroit pour surprendre les Vénitiens : mais la mer était décidément contraire à don Pèdre. L’escadre de la République traversa le détroit sans obstacle, ignorant même le danger qui la menaçait, grace à un coup de vent qui poussa les galères du roi jusqu’au cap d’Espartel[2]. Peu après la retraite des Castillans,

  1. Ayala, p. 280, 287.
  2. Id., p. 287.