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prêtre qui desservait la plus prochaine paroisse, et venait les dimanches dire une messe blanche dans l’église du bourg. Il accouru bientôt son bréviaire sous le bras, sa vieille soutane de serge retroussée dans la ceinture, et son vieux chapeau roussi à la main. Lorsqu’on l’eut introduit La Graponnière le laissa en prières à côté du corps et passa dans la salle verte. Presque au même instant la porte de l’antichambre s’ouvrit, et un valet annonça à demi-voix M. de Champguérin. En entendant ce nom, La Graponnière recula avec un mouvement involontaire et demeura à l’écart.

M. de Champguérin se présenta avec le maintien grave et affligé que commandait le funeste événement qu’il venait d’apprendre ; mais malgré ses efforts, il n’était pas entièrement maître de lui-même, il y avait dans son regard, dans le son de sa voix, quelque chose qui trahissait une joie secrète. À son agitation, à son air triomphant et troublé, on eût pu croire que c’était à lui qu’allait échoir le grand héritage de la maison de Farnoux et non à ces trois femmes contristées et taciturnes qui avaient repris machinalement leur place accoutumée, et entouraient encore le fauteuil vide du vieil oncle. Lorsque M. de Champguérin eut fait ses complimens de condoléance et se fut assis fièrement en face de Mlle de Saint-Elphège, la baronne se tourna vers l’écuyer de main, qui était resté près de la porte, en lui disant à haute voix Approchez, monsieur de La Graponnière en un pareil moment les anciens serviteurs sont comme les anciens amis, appelés de plein droit à donner leur avis sur les affaires de famille.

À ces mots, qui semblaient annoncer qu’il allait être question de graves intérêts et que rien ne serait décidé sans les conseils et l’approbation de M. de Champguérin, Mlle de Saint-Elphège et Mlle de l’Hubac tournèrent simultanément les yeux vers la baronne, l’une avec une expression de reproche, l’autre d’un air de satisfaction reconnaissante. — Est-ce qu’il s’agit déjà de calculer notre part d’héritage ? dit amèrement la vieille fille.

— Ce n’est pas aux affaires de la succession que je songe en ce moment, répondit Mme de Barjavel avec dignité, c’est aux honneurs que nous devons rendre à celui qui nous laisse cette grande fortune. Les funérailles des anciens seigneurs de Farnoux étaient célébrées avec pompe et j’ai entend dire qu’il existait à ce sujet un cérémonial écrit : en avez-vous connaissance, monsieur de La Graponnière ?

— Oui, madame la baronne, répondit-il, mais il y a près de deux siècles qu’il est tombé en désuétude, attendu que depuis le quatrième aïeul de M. le marquis, tous les seigneurs de Farnoux sont morts à la guerre, en pays ennemi.

— Mon sentiment est qu’il faut le rétablir dans cette circonstance solennelle, dit Mme de Barjavel en se tournant vers l’espèce de conseil