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confondait, par momens, avec les folles lueurs de quelques branches résineuses qui brûlaient dans la Cheminée. Le vieux seigneur ne s’était pas couché ; il veillait assis dans son grand fauteuil, les deux mains plongées dans un monceau de paperasses placées devant lui sur un guéridon. À l’aspect de son oncle, Mlle de Saint-Elphège demeura saisi d’étonnement : elle s’attendait à le trouver fort abattu après cette nuit d’insomnie, et il lui paraissait au contraire animé, dispos et comme rajeuni. On eût dit, en effet, que, par une réaction inexplicable, le marquis avait tout à coup reculé de quelques années sur son grand âge, ses traits immobiles et desséchés avaient repris une expression vivante ses yeux brillaient d’un éclat extraordinaire, et ses joues étaient légèrement colorées, comme si le sang eût recommencé à circuler activement dans ses veines. Tandis que Mlle de Saint-Elphège le considérait avec une sorte de stupeur, il repoussa du pied plusieurs feuilles lacérées qu’il venait de jeter sur le parquet, et dit en élevant la voix : — Mets tout cela au feu, mon vieux La Graponnière. — Puis il se retourna et acheva de déchirer quelques papiers qui cachaient une antique écritoire de voyage ouverte sur le guéridon. Bonté divine ! il a écrit ! pensa Mlle de Saint-Elphège en apercevant ce petit meuble dont le vieux seigneur ne s’était pas servi une seule fois depuis son arrivée à la Roche-Farnoux.

Un moment après, le marquis reprit en regardant l’écuyer de main qui achevait de jeter au feu les feuilles déchirées Bien, mon vieux La Graponnière ; voilà qui est fini. Maintenant va remettre ce moine aux mains de Braguelonne qui ne le quittera qu’après l’avoir réintégré dans son couvent.

— C’est donc ce pauvre père Cyprien qui va être puni des méfaits de M. de Champguérin murmura Mlle de Saint-Elphège en se retirant à-la hâte ; car, en restant là plus long-temps, elle courait risque d’être surprise par les valets, qui commençaient à circuler dans le château. Ce qu’elle venait de voir et d’entendre l’étonnait singulièrement ; elle ne pouvait concevoir pourquoi le père Cyprien était subitement tombé dans la disgrace du marquis, et, s’apercevant que les choses tournaient au rebours de ce qu’elle avait pensé, elle se figurait presque que M. de Champguérin parviendrait à se justifier. Sa conviction à elle-même était déjà fort ébranlée ; à force d’y rêver, elle en était venue déjà à douter de réalité de ce qu’elle avait vu, et à se persuader que la visite nocturne de M. de Champguerrin n’était rien moins que la preuve évidente d’une intrigue amoureuse. Lasse de commenter en vain ces incidens mystérieux. Elle essaya de se distraire en allant surprendre sa nièce et, au lieu de rentrer dans son appartement, elle se dirigea vers celui de Clémentine. La porte en était ouverte, et Josette allait et venait avec des mines coquettes dans le corridor, à l’extrémité duquel un grand laquais