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quérir Mlle de l’Hubac qu’il était censé tenir sous clé, et il la conduisait à la chapelle, où déjà la famille s’était rendue. Elle prenait place à l’écart derrière tout le monde, assistait au service divin sans parler à personne, et se retirait ensuite la première sans qu’il lui fût permis de saluer son grand-oncle.

Or, il arriva qu’un dimanche, au moment où le père Cyprien montait à l’autel, la porte de la chapelle s’ouvrit sans bruit, et un étranger pénétra discrètement dans la nef. Au frôlement de son habit de soie, au léger parfum qu’exhalait toute sa personne, Mlle de l’Hubac devint toute pâle, et demeura le visage incliné sur son livre d’heures sans oser lever les yeux. M. de Champguérin comptait peut-être que sa présence ne serait point remarquée et qu’il pourrait rester à cette place ; mais Mlle de Saint-Elphège avait l’ouïe très dine, et, quoiqu’il eut poussé la porte d’une main prudente, quoiqu’il eût marché d’un pied léger sur les dalles, elle avait reconnu le cliquetis de ses éperons d’argent. Un moment après. La Graponnière descendit gravement la nef pour l’inviter, de la part du marquis, à venir prendre place au banc seigneurial. M. de Champguérin passa devant Clémentine en lui jetant un regard si tendre, si pénétré e tristesse et de reconnaissance qu’elle comprit qu’il l’avait devinée et qu’il lui demandait en quelque sorte pardon de ce qu’elle souffrait pour l’amour de lui. Ce jour-là, elle ne tourna pas la première page de son livre d’heures, elle ne leva pas non plus les yeux vers le haut de la nef, et, quand la messe fut unie, elle sortit précipitamment de la chapelle et regagna sa chambre tout éperdue de confusion, de bonheur et d’amour. Cet incident auquel personne avait pris garde tourmenta beaucoup Mlle de Saint-Elphège. Il lui semblait que M. Champguérin avait eu le loisir de glisser une lettre à sa nièce, de lui parler peut-être, et d’obtenir d’elle la promesse de quelque secrète entrevue. Elle en conçut une inquiétude qui ne lui laissa plus de repos. Jamais tuteur ombrageux ne surveilla les alentours de son logis avec plus de vigilance qu’elle ne gardait les passages qui aboutissaient à la chambre de Clémentine. Elle venait l’épier à chaque instant de la journée ; la nuit, elle se levait pour s’assurer que sa porte était close, et qu’elle ne se hasardait pas à sortir sur la terrasse pour jeter un billet doux par-dessus les murailles.

Quelques semaines passèrent ainsi ; on était en plein automne ; les chemins devenaient effroyables, et, le soir, M. de Champguérin retournait de bonne heure à son manoir. Dès que La Graponnière l’avait reconduit, la veillée était finie ; le marquis passait dans sa chambre à coucher en emmenant le père Cyprien ; les deux dames regagnaient leur appartement ; toute la livrée se retirait dans ses bouges, et bientôt le plus profond silence régnait à la Roche-Farnoux.

Une nuit, une nuit de novembre, Mlle de Saint-Elphège, rentrée