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rues qui débouchaient sur le port. Quatre machines nommées bricoles, probablement des espèces de catapultes, portées sur des roues, étaient sur le rivage, prêtes à être dirigées sur le point qu’assaillirait l’ennemi. Entre les galères, quantité d’autres bâtimens garnis de mantelets et de bastingages étaient remplis de marins et de gens de trait. Enfin, derrière la ligne d’embossage, sur la grève même, les habitans de Barcelone avaient improvisé une sorte de rempart avec des barques renversées, la quille en l’air, derrière lequel se rangèrent tous les corps de métiers, chacun sous sa bannière, soutenus par les somatènes de la campagne appelés dans la ville par le tocsin de la cathédrale. Tous ces préparatifs étaient terminés, lorsque la flotte castillanne parut en dehors des tasques, forte de quarante et une galères, sans compter les bâtimens à voiles.

En donnant imprudemment dans les passes, elle aurait peut-être éprouvé de grandes avaries ; mais un esclave, s’échappant de la ville à la nage, vint révéler aux amiraux de don Pèdre l’existence des pièges sous-marins dont je viens de parler. Il fallait les détruire avant de rien entreprendre contre la ville, et pendant deux ou trois jours des chaloupes furent détachées pour enlever les ancres disposées dans les passes. Cet obstacle écarté, toute la flotte s’avança en bon ordre, le lendemain de la Pentecôte, 10 juin 1359, et se rangea en bataille parallèlement à la ligne d’embossage aragonaise. Toute la journée on combattit de loin sans se faire grand mal. C’était plutôt une reconnaissance qu’une attaque sérieuse. Vers le soir, les vaisseaux castillans se retirèrent et allèrent mouiller en dehors des tasques. Pendant la nuit, les Catalans resserrèrent leur ligne d’embossage et la rapprochèrent de la ville, afin de pouvoir être soutenus par leurs machines et les gens de trait qui bordaient le rivage. Le lendemain, l’engagement fut plus sérieux. Les navires castillans portaient sur leurs gaillards d’arrière des catapultes qui lançaient de grosses pierres ; mais, soit que ces engins tirassent de trop loin, soit qu’ils fussent mal dirigés, l’effet en fut presque nul, et les Catalans, en voyant tomber les pierres dans l’eau, répondaient par des huées à ces décharges inutiles. Leur artillerie, au contraire, mieux servie, produisit quelque désordre parmi les assaillans. Le fait suivant, rapporté par le roi d’Aragon dans ses mémoires, prouve que déjà l’on savait pointer les canons avec quelque précision et les charger assez rapidement[1]. Le principal effort des Castillans se portait contre le

  1. Les canons se composaient alors de barres de fer forgé assemblées comme les douves d’un tonneau et reliées par des cercles de fer. La culasse était ouverte, et pour tirer on y plaçait une boite cylindrique ou une chambre, comme on dirait aujourd’hui, remplie de poudre. Les canonniers avaient un certain nombre de ces boîtes toutes chargées que l’on plaçait successivement dans la pièce sans avoir besoin de l’écouvillonner comme on fait aujourd’hui. Voir pour la description de ces bombardes l’excellent travail de M. Deville sur le château de Tancarville, p. 15.