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Le mouvement constitutionnel en Italie a reçu des événemens de la Sicile une impulsion irrésistible. Les constitutions ont commencé le tour de la péninsule et l’achèveront inévitablement. Du moment que le plus absolu des états italiens était gratifié d’une charte, comment les états déjà dotés d’institutions libérales auraient-ils pu rester en arrière ? De Naples, le mouvement s’est communiqué à Turin, peut-être est-il déjà à Florence ; dans peu, il sera à Rome, mais c’est là que se présenteront les plus graves complications.

La manière dont l’insurrection de Palerme a été conduite fait le plus grand honneur aux Siciliens. Il y a eu, dans cette lutte courageuse et prolongée, un caractère de gravité, de calme et de dignité qu’on n’aurait probablement pas rencontré chez les Napolitains ; il y a évidemment de ce côté-là quelque chose de très sérieux. On sait que les insurgés de Palerme avaient refusé les premières offres du roi, et avaient réclamé la convocation immédiate du parlement. Ils avaient refoulé les troupes dans trois ou quatre positions fortifiées, et étaient restés les maîtres de la ville. Ils avaient sur-le-champ constitué un gouvernement provisoire, divisé en quatre comités : un pour la défense, un autre pour l’approvisionnement, un autre pour les finances, et un dernier pour les affaires d’état. Les premiers noms du pays étaient à la tête de ces comités. Toutes les classes de la population avaient pris part à ce soulèvement national ; les femmes, les enfans, les nobles, les moines, les prêtres, les pécheurs, tous s’étaient ralliés aux cris de : Vive l’indépendance de la Sicile et vive sainte Rosalie ! On cite une petite ville près de Palerme, celle de Montréal, dont la garnison a été prise et désarmée par les moines d’un couvent bénédictin. Les armes manquaient ; la plupart des combattans n’avaient que des fusils de chasse, des sabres et des coutelas. Les insurgés s’étaient cependant emparés de sept à huit pièces de canon, et, au lieu de maltraiter les soldats prisonniers, ils se servaient d’eux pour pointer leurs pièces. Du haut du fort, le duc de Majo, gouverneur de la Sicile, bombardait incessamment la ville : les bombes causaient peu de ravages, car le peuple se jetait dessus et coupait intrépidement les mèches ; mais ces rigueurs inutiles ne faisaient qu’accroître l’exaspération. Dès le commencement du bombardement, le consul de France, M. Bresson, avait convoqué ses collègues de Sardaigne, de Prusse, de Russie, de Suisse et des États-Unis, pour protester contre cet acte sauvage ; les consuls d’Angleterre et d’Autriche s’étaient également ralliés% la protestation. M. Bresson se rendit à travers le feu et les barricades jusqu’au château royal, où il obtint du gouverneur une suspension d’armes de vingt-quatre heures. Il profita de ce peu de temps pour noliser un bâtiment américain, sur lequel il embarqua tous ses nationaux et quelques étrangers qui réclamèrent l’hospitalité de la France. Une protestation régulière contre le bombardement fut ensuite rédigée par le consul français et répandue dans la ville. Après dix jours de combat, le général Sauget, qui commandait les troupes royales envoyées de Naples, dut renoncer à soumettre l’insurrection par la force et fit faire des ouvertures au gouvernement provisoire. Le décret d’amnistie qu’il offrit fut repoussé avec dédain ; imprimé et livré au peuple, il fut brûlé sur la place publique.

Les nouvelles du triomphe de l’insurrection sicilienne arrivèrent à Naples et mirent le feu à tous les esprits. Les clubs commencèrent à s’organiser ; l’émeute grondait déjà, et les lazzaroni, que l’on disait une race éteinte, reparurent comme par enchantement dans les rues. Le roi, résistant encore, était pressé