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bout de quelques jours de croisière, une carraque vénitienne, capturée à la hauteur des Baléares. Le roi de Castille était alors en paix avec la République ; mais, dit Ayala, c’est l’usage des princes, quand ils ont une armée en mer, d’emmener de gré ou de force tous les vaisseaux neutres qu’ils rencontrent[1]. Tel était alors le droit maritime de l’Europe. La carraque, richement chargée, fut d’abord déclarée de bonne prise ; cependant, quelque temps après, elle fut relâchée sur les réclamations des consuls vénitiens.

Barcelone, au XIVe siècle la ville la plus commerçante et la plus riche de l’Espagne, est bâtie au bord d’une anse qui s’ouvre au sud-sud-est dans la Méditerranée. En face de la ville, une langue de terre étroite, sur laquelle est situé aujourd’hui le bourg de Barcelonette, protége le mouillage du côté de l’est, tandis qu’une chaîne de montagnes peu éloignée de la côte le défend contre les vents de l’ouest et du nord. Au sud, l’entrée du port est resserrée par des rochers cachés sous l’eau et des bancs de sable, qu’on nomme en catalan les tasques. Aujourd’hui les vaisseaux vont jeter l’ancre sous la presqu’île de Barcelonette ; car, du côté de la ville, l’eau est peu profonde et le port tend à se combler. Il résulte même de documens authentiques qu’il y a moins de trois siècles les galères s’amarraient près de la bourse, c’est-à-dire que la mer couvrait l’emplacement de plusieurs rues modernes. En 1359, la ville n’avait pas de remparts du côté du rivage, et le temps manquait pour élever des fortifications régulières qui la missent à l’abri d’une descente. Mais le roi d’Aragon, accourant à Barcelone, avait fait proclamer l’antique usage : Princeps namque[2], qui obligeait toute la population à prendre les armes et à former la milice tumultuaire, qui garde encore le nom de somatènes[3]. On fit disparaître soigneusement les balises et les signaux qui marquaient les passes entre les tasques, et dans ces passes mêmes on coula des ancres énormes pour enfoncer les bordages des navires castillans qui s’y engageraient sans précaution. Dix galères bien armées, quelques-unes portant des bombardes, formèrent une ligne d’embossage, qui, vers le sud, s’appuyait aux tasques à la hauteur du mont Jouy, et se prolongeait au nord jusqu’au couvent des frères mineurs[4], couvrant ainsi l’entrée des principales

  1. Ayala, p. 227.
  2. Carbonell, p. 187. Ce sont les deux premiers mots de la loi qui donne au prince ou au magistrat suprême le droit de convoquer tous les hommes en état de combattre lorsque la ville est en danger.
  3. Nom donné aux levées en masse de la Catalogne. L’étymologie la plus probable m’est fournie par mon ami don Manuel de Bofarull. Les hérauts chargés de convoquer les miliciens criaient devant chaque maison : Via fora ! allons, dehors ! Les habitans sortaient en armes en répondant : Som atents, nous sommes prêts. C’était en quelque sorte un mot de ralliement qui dans la suite devint le nom de cette espèce de landsturm.
  4. Ce couvent n’existe plus aujourd’hui. Il y a sur son emplacement un magasin de charbon. Le monastère était situé précisément en face des Atarazanas, à gauche de la rampe qui conduit à la Muraille de mer.