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Mais de quoi nous occupons-nous ? La chambre, surtout dans les derniers jours de cette grande discussion, avait bien d’autres affaires. Il s’agissait de savoir si la minorité n’était pas insultée d’une manière tout-à-fait grave et inconstitutionnelle, parce que la conduite de plusieurs membres de l’opposition était l’objet d’un blâme dans le discours de la couronne et dans l’adresse de la chambre. Cette question est-elle sérieuse ? Qui rédige le discours de la couronne ? Un ministère qui est l’expression d’une majorité. Apparemment, cette majorité a des doctrines, des principes, en vertu desquels elle agit, parle, approuve ou blâme les actes qui relèvent de sa juridiction politique. Apparemment encore, elle ne pense pas comme l’opposition, puisqu’elle gouverne contrairement aux maximes de celle-ci. Et elle n’aurait pas le droit de le lui dire ! Mais, chez nos voisins, le parti qui est au pouvoir adresse les choses les plus dures à ses adversaires dans le discours de la couronne, qui est son œuvre, et dont il répond. Qu’on se rappelle l’énergie avec laquelle la conduite d’O’Connell et de la députation irlandaise fut, à plusieurs reprises, censurée par le gouvernement anglais dans le document officiel qui ouvre les sessions. Le grand agitateur y était signalé comme un factieux. La verve d’O’Connell lui fournissait, on le sait, toute sorte de réponses. Seulement il n’imagina jamais de se plaindre qu’on se servit contre lui, en tenant ce langage, d’armes anti-constitutionnelles.

Ici, les susceptibilités de l’opposition sont d’autant plus étranges que beaucoup de ses membres ont pris de la manière la plus vive l’initiative des hostilités. N’ont-ils pas volontairement renoncé au repos dont ils pouvaient jouir pendant leurs vacances, pour élever des tribunes d’où ils lançaient en toute liberté des attaques tant contre le ministère que contre la majorité ? Là, ils n’étaient gênés ni par des contradicteurs, ni par les convenances parlementaires, et l’agression alla souvent jusqu’à l’injure. À ce débordement, le ministère n’oppose que deux mots, dont aucun n’a le caractère d’une insulte, et c’est l’opposition qui se prétend insultée ! Cette colère étudiée nous a rappelé la tactique dont se servait Voltaire dans ses querelles et ses polémiques. L’opposition ne se fâchera pas, si nous la comparons à Voltaire. Le philosophe de Ferney prenait souvent, on ne l’ignore pas, l’initiative des provocations les plus violentes, et, quand on lui ripostait, il criait de toutes ses forces qu’il était le plus malheureux et le plus insulté des hommes ; ses adversaires étaient d’affreux scélérats dont un gouvernement équitable devait faire bonne justice. Voltaire nous connaissait ; il nous savait enclins à donner raison à ceux qui crient bien fort, plus fort que tous les autres. N’est-ce pas aussi un peu le calcul de l’opposition ? N’espère-t-elle pas, par l’éclat de ses doléances, faire oublier le point de départ et la cause de ces fâcheux débats ?

Nous voyons avec plaisir, au surplus, que toutes ces récriminations si amères ont fini par s’évaporer en discours. Des gens trop disposés à prendre les choses au tragique avaient répandu le bruit que tous les députés qui avaient assisté aux banquets allaient en masse donner leur démission. L’opposition est trop avisée pour commettre une pareille faute, et nous l’en félicitons. Elle s’épargne une très fausse démarche, qu’elle n’eût pas tardé à regretter vivement ; elle eût peut-être obtenu les éloges de quelques casse-cous politiques, mais assurément elle eût encouru le blâme presque unanime du pays. Seulement il est permis de conclure que, puisque ces démissions tant annoncées ne sont pas données, l’op-