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de la bibliothèque de Genève. C’est une description naïve de la première ferveur de la réforme à Strasbourg. L’aimable et mystique prêtre en parle avec enthousiasme ; la prédication, les cantiques, les prières en commun, le ravissent. Les couvens ont été supprimés, les images enlevées des églises ; « on n’a laissé subsister qu’un seul autel, accessible à tous, où se célèbre la communion, comme du temps de Jésus-Christ même. » Cette lettre est significative. Celui qui parle ainsi est bien près du protestantisme ; une bienveillance si empressée, une sympathie si franche pour les réformes, cette onction et ce bonheur fervent, semblent attester qu’il a déjà passé dans le camp ennemi. Mais non : telle est la douceur de Gérard Roussel, que pour lui il n’y a point d’ennemis. Partout où il aperçoit le Christ et sa doctrine, les dissidences particulières s’effacent ; il aime cette église de Strasbourg, non parce qu’elle est protestante, mais surtout parce qu’il la voit chrétienne. N’allez pas croire qu’il soit près d’abandonner l’église qui l’a nourri ; ce n’est pas une ame née pour la lutte, comme Luther, comme Zwingli, comme Calvin ; ce n’est pas un homme d’action, c’est un homme de contemplation et d’amour.

Il est rappelé bientôt à Paris, grace à ces alternatives d’indulgence et de rigueur qui se succèdent sans cesse sous le règne de François 1er ; il prêche même à la cour. En 1527, Marguerite épouse le roi de Navarre, et Gérard Roussel devient son confesseur. C’était là, à vrai dire, la place qui lui convenait. Puisque Gérard Roussel n’était ni protestant décidé, ni catholique résolu ; puisqu’il voulait se soustraire aux luttes de ces temps difficiles, où pouvait-il trouver un asile plus sûr qu’à la cour de Marguerite ? S’il se fut établi à Strasbourg, cette vie active qu’il redoutait si fort l’aurait circonvenu de tous côtés ; il eût été forcé de subir le joug impérieux de Luther et de Calvin ; les difficultés croissantes auraient brisé ou au moins faussé cette ame tendre faite pour le repos et la méditation. S’il fût resté à Paris, la Sorbonne eût accusé l’indulgence de ses doctrines ; il eût fallu se montrer furieux avec les furieux. Il n’y avait qu’un lieu propice, un petit coin de terre, dans cette Europe déchirée, qui pût donner asile à Gérard Roussel : c’était la Navarre ; terre heureuse, asile aimable et libre, le seul endroit du monde où les haines religieuses n’eussent pas déchaîné les passions.

Il essaya pourtant de revenir à Paris, provisoirement du moins. En 1533, Marguerite et le roi de Navarre avaient passé le carnaval à Paris. Pendant le carême, Marguerite pria Roussel de prêcher à la cour ; il prêcha, et son succès fut immense. Depuis Gerson, la chaire chrétienne n’avait pas entendu d’accens aussi purs ; cette onctueuse ferveur, après les incartades burlesques des prédicateurs macaroniques, était une nouveauté bienfaisante. Le peuple se porta en foule aux prédications de Gérard Roussel ; la Sorbonne s’émut, et Gérard Roussel fut dénoncé comme prêchant l’hérésie. L’histoire de ces luttes est fort compliquée ; la mobilité extrême du roi donnait tour à tour la victoire aux deux partis. Gérard Roussel comprit enfin que sa position n’était pas tenable, et il se hâta de partir pour la Navarre, où Marguerite l’avait précédé. Trois ans après, en 1536, le roi de Navarre sollicitait de Rome et obtenait pour Gérard Roussel l’évêché d’Oleron.

M. Schmidt a curieusement recherché les détails de ces péripéties confuses. Nous ne sommes pas toujours de son avis pour les conclusions qu’il en tire, mais