Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/75

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dévouement fatal à la Castille[1]. La fureur de don Pèdre ne se contenta point d’une vaine formalité. Il lui fallait du sang, et, malheureusement, il avait entre ses mains des otages chers à ses ennemis : c’étaient la reine Léonor, mère de don Fernand, prisonnière dans le château de Castrojeriz ; sa bru, doña Isabel de Lara, femme de don Juan d’Aragon, égorgé à Bilbao ; enfin, doña Juana de Lara, femme de don Tello. Léonor fut la première victime. On dit qu’aucun Castillan n’ayant osé porter la main sur la sœur du roi don Alphonse, des esclaves africains furent chargés de lui donner la mort[2]. Peu après, doña Juana termina ses jours dans un donjon de Séville, empoisonnée, dit-on, par ordre du roi. Sa sœur Isabel, prisonnière pendant quelque temps à Castrojeriz, fut transférée dans le château de Jerez, où elle eut bientôt pour compagne de captivité la reine Blanche, amenée de Sigüenza. Ces deux infortunées ne devaient plus sortir vivantes de leur prison[3].

Après l’exécution de ces ordres cruels, qui excitèrent un sentiment d’horreur dans toute la Castille, don Pèdre quitta Almazan pour aller prendre le commandement de sa flotte. Sur la frontière d’Aragon, il laissait cinq corps d’armée échelonnés depuis la Vieille-Castille jusqu’à Molina, dans le royaume de Murcie. Trois de ces corps, dont le principal était sous les ordres de Juan de Hinestrosa, étaient cantonnés dans la province de Soria, et destinés à opérer contre les troupes du comte de Trastamare. Les autres étaient opposés à l’infant don Fernand, qui occupait Orihuela, à l’extrémité méridionale du royaume de Valence. Ces cinq divisions présentaient un total de 5,000 hommes d’armes, sans compter les arbalétriers et les milices des communes[4]. Au nombre des chefs choisis pour commander ces différens corps, ce n’est pas sans surprise que l’on trouve don Fernand de Castro, frère de cette Juana, reine d’un jour, si outrageusement abandonnée par don Pèdre au commencement de la dernière guerre civile. On l’a vu renier solennellement l’hommage-lige dû au roi et prendre la part la plus active aux troubles de l’année 1354. Marié à doña Juana, fille naturelle du roi don Alphonse et de Léonor de Guzman, il avait quitté Toro peu après la captivité de don Pèdre pour se rendre en Galice, où il avait de grandes possessions et une immense clientelle. Depuis ce moment, il demeure étranger aux troubles civils du royaume. Au commencement de la guerre d’Aragon, après la prise de Tarazona, il amène des renforts au camp de Castille, et, désormais, il est devenu un vassal fidèle. Il est

  1. Ayala, p. 271. Un des glossateurs de Gratia Dei prétend que Pero Lopez de Ayala fut au nombre des proscrits. Cette assertion est démentie par le témoignage d’Ayala lui-même. V. Sem. erud. de Vall., t. XXVIII, p. 228.
  2. Carbonell, p. 180, verso.
  3. Ayala, p. 272.
  4. Ibid., p. 273.