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pas d’achever une œuvre si propre à intéresser le patriotisme rétroactif, la piété officielle de l’empire, son goût d’archéologie nationale.

Il y a le poème didactique badin, comme il y a l’épopée badine. Ennius, dans un temps où l’intempérance romaine avait déjà commencé, Ennius, ami lui-même du vin et de la table, avait pu, en face de Caton, imiter avec convenance et intérêt la Gastronomie d’Archestrate, écrire ses Phagetica. De même Ovide, au sein de ce loisir sensuel que le pouvoir absolu faisait aux Romains, ces anciens cultivateurs, ces politiques, ces guerriers devenus hommes de plaisirs et coureurs d’aventures galantes, Ovide écrivait aussi, sous la dictée du public, son Art d’aimer, ses Remèdes d’amour.

En dehors de ces productions animées d’une vie véritable, on ne rencontre plus que l’œuvre morte d’un art industrieux qui s’applique assez indifféremment à toutes choses, leur demande sans fin le sujet d’élégantes, d’agréables, mais froides descriptions. C’est pour décrire qu’Ovide traite de la pêche, Gratins de la chasse, Macer des abeilles, des oiseaux, des venins de certains animaux et de leurs remèdes, des plantes médicinales ; Pedo Albinovanus, qu’Ovide appelle sidereus[1], peut-être de l’astronomie, Manilius de l’astrologie ; plus tard, Columelle, trompé par un regret de Virgile, des jardins, et un autre contemporain de Sénèque, qui était en même temps son ami, son correspondant, Lucilius, de l’Etna, que Virgile semblait avoir suffisamment décrit, et dont devaient s’occuper tant de poètes après lui.

Omne genus rerum doctœ cecinere sorores.
« Il n’est rien que n’aient chanté les doctes soeurs, »

s’écriait Manilius, ce qui peut s’interpréter ainsi : « Il n’est rien que nous n’ayons décrit. » Le même Manilius rappelait avec enthousiasme les productions descriptives de Gratins et de Macer :

« Tel chante les oiseaux au plumage bigarré, la guerre portée chez les bêtes sauvages ; tel les serpens venimeux, les plantes malfaisantes, les simples qui rendent la vie[2]. »

Nous avons quelques-uns de ces ouvrages, sauvés par certains mérites de composition et de style, qui ne sont pas indignes d’attention et d’estime ; mais combien le temps nous en a ravi ou épargné d’autres ; fruits de cette intempérance descriptive qui se déclara dès le temps d’Ovide et dont Ovide s’est fait l’historien dans quelques vers, qu’on croirait vraiment contemporains de l’école d’Oppien ou de celle de Delille !

  1. Ex Pont., IV, XVI, 6.
  2. Ecce alius pictas volucres et bella ferarum,
    Ille venenatos angues, hic nata per herbas
    Fata refert, vitamque sua radice ferentes. (Astron, III, 43.)