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il semble qu’il prévoie la description du déluge par Ovide. Quand il dit :

« Ce n’est pas devant le public que Médée doit tuer ses enfans, l’exécrable Atrée faire cuire des entrailles humaines[1]. »

ne semble-t-il pas qu’il analyse d’avance le théâtre de Sénèque ?

Un poème tel que l’Art poétique ne pouvait appartenir qu’à une époque de culture littéraire très avancée, comme était le siècle d’Auguste, et, dans cette époque même, au moment précis qui le vit apparaître. Il faut que l’art ait épuisé les inspirations diverses qu’il reçoit de la nature sensible et de l’humanité pour chercher ainsi en lui-même une sorte de modèle abstrait, et ce modèle, pour qu’on puisse le reproduire, doit avoir été assemblé pièce à pièce par la longue pratique de la composition, le sentiment long-temps réfléchi de la vérité, de la beauté. Ajoutons que les idées dont il se compose n’ont chance d’intéresser l’imagination qu’à deux conditions seulement : d’une part, si le faux goût les conteste déjà et leur donne de l’à-propos ; d’autre part, si, bien que fondées sur l’autorité du temps et de l’expérience, elles n’ont pas été encore trop popularisées, trop vulgarisées par la critique.

L’Art poétique avait donc, comme les Géorgiques, sa raison d’être, son opportunité, son intérêt présent et populaire, un caractère tout opposé à ceux de ces productions artificielles que suscitent seuls, dans les littératures vieillies, le caprice, la vocation incertaine des poètes. J’en dirai autant d’un ouvrage moitié épique, car il est rempli de récits, moitié didactique, car on n’y raconte que pour instruire, comme dans la Théogonie d’Hésiode : les Fastes d’Ovide.

Quand Rome vieillie aimait à se reporter vers son jeune âge, à s’entretenir de ses lointaines et fabuleuses origines, un poème qui les expliquait savamment, ingénieusement, élégamment, était un ouvrage de circonstance appelé par le vœu du public. Aussi l’idée en vint-elle à plus d’un écrivain. Properce l’avait commencé ; c’est des débris de cette œuvre que se compose en grande partie son quatrième livre. Il en donne le programme dans ce vers :

Sacra diesque canam et cognomina prisca locorum[2].


Après lui, Sabinus avait aussi entrepris de faire la même chose, mais n’avait pu la mener à fin.

.....Imperfectumque dierum
Deseruit celeri morte Sabinus opus[3],

a dit Ovide, qui ne fut pas plus heureux, à qui ses malheurs ne permirent

  1. Ne coram populo pueros Medea trucidet,
    Aut humana palam coquat exta nefarius Atreus. (Ad Pison.)
  2. Eleg., IV, 1, 69.
  3. Ovide, Ex Pont., IV, XVI, 15.