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Montaigne[1] ; ceux[2] du président Favre, le père du grammairien Vaugelas ; ceux de P. Matthieu, conseiller historiographe de Henri IV[3] appelés aussi ses Tablettes. Ces trois recueils, qui eurent un grand succès, ont été quelquefois réunis en un seul. C’était un manuel de morale qui servait à l’éducation, comme chez les Grecs les vers d’Hésiode ou de Théognis. Il y a de cela un témoignage piquant dans une pièce de Molière, son Sganarelle, donnée en1660. Un bourgeois, qui tient pour les anciennes mœurs, y dit à sa fille, qu’il trouve peu docile et dont il attribue la résistance à de mauvaises lectures :

Voilà, voilà le fruit de ces empressemens
Qu’on y voit nuit et jour à lire vos romans ;
De quolibets d’amour votre tête est remplie,
Et vous parle de Dieu bien moins que de Clélie.
Jetez-moi dans le feu tous ces méchans écrits
Qui gâtent tous les jours tant de jeunes esprits ;
Lisez-moi, comme il faut, au lieu de ces sornettes,
Les quatrains de Pibrac et les doctes tablettes
Du conseiller Matthieu ; l’ouvrage est de valeur,
Et plein de beaux dictons à réciter par cœur.

La poésie philosophique et scientifique, second âge du genre didactique, n’arrive guère, chez nous, qu’au XVIIIe siècle. Le XVIIe est tout entier à la poésie dramatique, qui ne souffre guère de partage. La Fontaine seul est quelquefois tenté de prêter à la philosophie, à la science, la parure des vers ; il discute poétiquement, pour Mme de La Sablière, certaines opinions de Descartes ; il dit à la duchesse de Bouillon, au début d’un poème commandé par elle, le Quinquina :

C’est pour vous obéir, et non point par mon choix,
Qu’à des sujets profonds j’occupe mon génie.
Disciple de Lucrèce une seconde fois…

Il s’écrie, traduisant Virgile :

Quand pourront les neuf soeurs, loin des cours et des villes,
M’occuper tout entier et m’apprendre des cieux
Les divers mouvemens inconnus à nos yeux ;
Les noms et les vertus de ces clartés errantes,
Par qui sont nos destins et nos mœurs différentes ;
Que si je ne suis né pour de si grands projets,

  1. Essais, III, 9.
  2. Centuries de quatrains moraux, 1601.
  3. Quatrains de la vanité du monde, ou Tablettes de la vie et de la mort.