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Errare, atque viam palantes quaerere vitea

[1].

Horace, reprenant l’expression de Lucrèce, dit de la poésie didactique du premier âge, qu’il lui fut donné d’enseigner cette route :

« Vinrent Homère et Tyrtée qui, par des vers aussi, animèrent aux combats les courages. C’est en vers que se rendirent les oracles, que s’enseigna la route de la vie. » Et vitae monstrata via est [2].

A cet énoncé général, Boileau, dans son imitation, ajoute le grand nom d’Hésiode, principal représentant de cette poésie didactique, institutrice des hommes aux anciens jours.

Hésiode à son tour, par d’utiles leçons,
Des champs trop paresseux vint hâter les moissons.
En mille écrits fameux la sagesse tracée
Fut à l’aide des vers aux mortels annoncée[3].

L’histoire dont ces beaux vers d’Horace et de Boileau sont comme l’introduction se divise, chez les Grecs, en trois époques, qui correspondent à des états divers de la société, et que nous retrouverons reproduites par des causes pareilles dans d’autres littératures.

Viennent d’abord les poèmes gnomiques, espèces de recueils qui conservent, sans grand artifice de composition, par morceaux, par maximes, par vers détachés, avec une naïveté pleine souvent de charme poétique, les acquisitions de l’expérience en toutes choses, les notions premières des arts utiles à la vie, et particulièrement de l’art de vivre. La poésie est alors, même dans d’autres genres, dans l’épopée par exemple, cette histoire, cette encyclopédie des vieux âges, véritablement didactique ; elle tient de la simplicité d’une société ignorante, de la nouveauté et de l’imperfection des connaissances, la mission d’enseigner, et elle enseigne tout à la fois. C’est que tout se confond encore, que le temps des sciences spéciales et des professions distinctes n’est pas venu, que chacun a plus d’un métier et a besoin de plus d’une leçon. Celui qu’instruit Hésiode, dans les Travaux et les Jours, ressemble un peu à l’Ulysse d’Homère, à qui rien n’est étranger, qui ne se borne pas à savoir gouverner, parler dans les conseils et combattre, mais qui, pour quoi que ce soit, n’a recours à un autre homme ; qui peut faire la besogne de ses plus humbles serviteurs, labourer son champ, cultiver son jardin, conduire son troupeau, préparer son repas, qui a lui-même bâti sa maison et construit sa couche, qui au besoin se fabrique un vaisseau et n’est point embarrassé de la manœuvre. Moins universel, le disciple d’Hésiode est toutefois ouvrier et commerçant en

  1. De Nat. rer., II, 10.
  2. Horat., ad Pison., 401-404.
  3. Boileau, Art poétique, chant IV.