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se replacer dans une situation devenue impossible, à retrouver l’inspiration naïve des premiers âges. Telle est l’épopée de Virgile, bien belle, mais autrement que celle d’Homère.

Il y a une ode où, primitivement aussi, s’expriment par le chant et la danse, avec un emportement hardi, les affections publiques et les sentimens intimes de l’ame. Il y en a une autre, venue beaucoup plus tard, qui ne chante plus que par métaphore, dont les hardiesses, les transports, les écarts, le désordre, sont un effet de l’art. Telle est l’ode d’Horace, belle d’une autre beauté assurément que celle de ses maîtres Alcée, Sapho, Anacréon, Pindare.

On peut faire une distinction pareille pour la poésie didactique. Il y en a une qui, à certaines époques, dans certains sujets, est vraiment l’institutrice des hommes ; il y en a une autre qui n’enseigne, ne veut rien enseigner à personne, dont les leçons, toutes fictives, sont un prétexte aux jeux de l’imagination, à l’application de l’art des vers. A la première conviendrait le nom de poésie didactique naturelle, à la seconde celui de poésie didactique artificielle.

Cela n’est point une théorie arbitraire ; c’est la formule d’une histoire dont les poètes se sont chargés, comme il leur convenait, de raconter les temps fabuleux.

« Les hommes, errant dans les forêts, apprirent d’un fils, d’un interprète des dieux, à s’abstenir du meurtre, à renoncer aux habitudes d’une vie grossière. Voilà pourquoi on a dit qu’Orphée savait apprivoiser les tigres et les lions. On a dit aussi d’Amphion, le fondateur de Thèbes, qu’il faisait mouvoir les pierres aux sons de sa lyre, et par ses douces paroles les menait où il voulait. Ce fut, en ces temps reculés, l’œuvre de la sagesse de distinguer le bien publie de l’intérêt privé, le sacré du profane, d’interdire les unions brutales, d’établir le mariage, d’entourer les villes de remparts, de graver sur le bois les premiers codes. Par là tant d’honneur et de gloire s’attacha au nom des chantres divins et à leurs vers[1] . »

Ainsi parle Horace, et Boileau, on le sait, l’a répété en beaux vers. L’un et l’autre, si nous continuons de les citer, nous amèneront jusqu’à l’âge historique du genre dont nous recherchons l’origine, dont nous voulons suivre les développemens divers.

Il se produit presque en même temps que le genre épique, que le genre lyrique, et, pour caractériser son rôle, Horace se sert d’une expression remarquable qu’un grand poète, son prédécesseur et son maître, avait créée. Lucrèce avait dit, plein de pitié, des hommes vainement fourvoyés à la poursuite du bonheur : « Ils errent, ils cherchent çà et là la route de la vie. »

  1. Silvestres homines sacer interpresque deorum, etc.
    (Horat., ad Pison., 391-401.)