Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/72

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

regarde le roi de Castille comme le bouclier de toute la chrétienté, et gémit de le voir tourner ses armes contre un prince catholique au lieu d’imiter ses glorieux ancêtres qui ont si vaillamment combattu contre les ennemis de la foi. Le saint-père regrette de ne pouvoir venir en personne terminer une guerre si cruelle et si nuisible à la religion[1]. » Quelle que fût son impatience d’entrer en campagne, don Pèdre ne se montra pas insensible à ces flatteries adroites. Il vint recevoir le légat à la frontière, dans la ville d’Almazan, et lui fit l’accueil le plus gracieux. Néanmoins, loin de rabattre quelque chose de ses prétentions, il les éleva encore. Il demandait toujours la remise de Perellòs et l’expulsion des émigrés castillans, parmi lesquels il comptait maintenant don Fernand, le frère du roi d’Aragon. En outre, il réclamait les places d’Alicante et d’Orihuela, ainsi que quelques autres forteresses, se fondant sur ce qu’elles avaient fait autrefois partie du royaume de Murcie et sur ce qu’elles lui avaient été cédées ou vendues, lors du traité de Toro, par don Fernand qui en était le seigneur. Enfin et pour dernière condition, il exigeait que le roi d’Aragon lui payât les frais de la guerre estimés par lui à cinq cent mille florins.

Sans se récrier contre l’exagération de ces demandes, le légat, satisfait d’avoir retardé par sa seule présence l’invasion imminente des Castillans, transmit aussitôt à Pierre IV les propositions qu’il venait de recevoir. De ce côté, le cardinal ne rencontrait pas une moindre obstination. L’Aragonais, protestant contre toute cession de territoire, niait absolument les droits allégués par don Pèdre sur les places du royaume de Valence ; cependant, dans son amour pour la paix, il voulait bien, disait-il, s’en rapporter sur ce point à la décision du saint-siège, et provisoirement il chargea un docteur de plaider sa cause par devant le légat. Quant à livrer son vassal Perellòs, sur une simple accusation, à la justice d’un prince étranger, l’honneur de sa couronne le lui interdisait ; seulement il renouvelait la promesse de le faire juger, et, dans le cas où ses tribunaux le trouveraient coupable, il offrait de le remettre aux mains du monarque offensé. Ses refus étaient encore plus péremptoires au sujet des indemnités réclamées par le roi de Castille, l’agresseur, selon lui, n’étant pas fondé à mettre les dépenses de la guerre à la charge de celui qui avait repoussé une invasion injuste. Le seul point sur lequel Pierre IV se montrait facile était l’expulsion des émigrés castillans, et il semblait avoir oublié ses conventions récentes avec le comte de Trastamare. Toutefois il faisait une réserve à l’égard de l’infant don Fernand, qui, prince aragonais et héritier éventuel de sa couronne, ne pouvait en aucune façon être assimilé aux autres réfugiés sujets de don Pèdre[2].

  1. Ayala, p. 256.
  2. Ayala, p. 258, 266. – Zurita, 292.