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cette foule trop occupée pour me remarquer, je pus examiner à l’aise le tableau fantastique qui s’offrait à mes yeux. Une multitude de minces et longues chandelles collées aux parois éclairaient confusément travailleurs, dont la plupart, plongés dans l’eau jusqu’à la ceinture, attaquaient la roche vive à coups de barretas. D’autres, chargés de sacs de minerai dont le poids faisait saillir leurs muscles tendus, se perdaient au loin, tandis que la mèche allumée qu’ils portaient sur la tête éclairait leurs corps bronzés ruisselans de sueur et leurs longs cheveux flottans. C’était une confusion assourdissante de coups de piques sonores qui frappaient le roc en cadence, d’éclats de pierres détachées qui tombaient bruyamment dans l’eau, de voix, de cris répétés et d’haleines sifflantes, qui vibraient sous les voûtes avec de rauques échos. La clarté rougeâtre des torches qui se reflétait dans l’eau, la poussière, la vapeur qui formaient comme un brouillard condensé dans l’étroit couloir, les veines cuivreuses qui serpentaient comme des lierres le long des voûtes et des parois, tout concourait à augmenter la bizarrerie de ce spectacle.

Après l’avoir contemplé long-temps, je résolus de gagner la galerie inférieure, à l’extrémité de laquelle je devais rencontrer le vieux mineur. Cette ascension que je redoutais jusqu’alors ne me paraissait plus une tâche périlleuse à remplir, et devait m’éviter, au contraire, la fatigue de parcourir de nouveau tout l’espace que je venais de laisser derrière moi. Je priai donc un des mineurs de me conduire à l’endroit indiqué, car je craignais de m’égarer au milieu de ce dédale de galeries souterraines qui se croisaient en tous sens. Je commençais aussi à ressentir vivement le besoin de respirer un air plus pur, et je suivis gaiement mon nouveau guide.

Je descendis encore long-temps, jusqu’à sentir mes jarrets ployer sous moi, et j’arrivai, brisé de lassitude, à l’extrémité de la dernière galerie, qui formait un angle droit avec le grand puits, dont la bouche noire et béante s’ouvrait à mes pieds. Ce puits se prolongeait encore jusqu’à un niveau bien inférieur. J’étais le premier au rendez-vous ; le vieux mineur n’était pas encore venu. Un seul ouvrier, qui paraissait comme oublié dans ces vastes catacombes, accomplissait solitairement une tâche effrayante. Non loin de là, un autre puits, envahi par les eaux, se vidait lentement, à l’aide d’une outre gigantesque suspendue à la corde du malacate. L’outre, une fois pleine, s’élevait par le retour de rotation de l’invisible machine établie à douze cents pieds plus haut ; mais, violemment ramenées dans l’axe du grand puits par une force irrésistible, les peaux de bœuf gonflées se fussent crevées contre les parois, si l’ouvrier n’en eût amorti l’impulsion. Sur une étroite plate-forme qui séparait les deux gouffres, au milieu d’une obscurité presque complète, le péon raidissait autour du câble une corde