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désolé quand nous étions arrivés, et pourquoi il s’obstinait à trôner ainsi sur le cadavre d’une mule.

— C’est cette mule qui cause ma douleur, répondit Planillas ; je l’avais vendue, dans ma détresse, à l’hacienda de platas que vous voyez là-bas, quoique je lui fusse tendrement attaché. J’avais pris du service depuis lors dans l’atelier où je pouvais la voir tous les jours ; hélas ! la pauvre bête est morte ce matin, et je l’avais traînée dans cet endroit isolé pour me livrer à ma douleur loin des regards de tous.

Planillas replongea violemment sa tête entre ses mains comme quelqu’un qui ne veut pas être consolé ; puis, sans doute pour détourner le cours de la conversation

— Ah ! seigneur cavalier, dit-il, ce n’est pas le seul malheur que j’aie à déplorer ! Hier un engagement a eu lieu entre les mineurs de Rayas et ceux de Mellado, et je n’y étais pas.

— Mais je ne vois pas, interrompis-je, ce qu’il y a là de si déplorable.

— De si déplorable ! reprit vivement Planillas. Ah ! ce n’est pas une de ces rencontres vulgaires comme on en peut voir tous les jours, et vous ne devineriez jamais comment elle s’est terminée : par une grêle de piastres que les mineurs de Mellado, pour prouver la supériorité de leur mine sur celle de Rayas, ont fait pleuvoir sur leurs adversaires. De belles piastres à l’aigle ! ajouta-t-il d’un air navré, et je suis arrivé trop tard sur le champ de bataille.

Je compris mieux la douleur de Planillas à ce dernier désappointement ; toutefois j’eusse refusé de croire à cet excès d’arrogante prodigalité des mineurs, si Fuentes ne m’eût confirmé avec une satisfaction orgueilleuse la vérité de ce récit. Presque aussitôt mon compagnon, à qui les lamentations de Planillas paraissaient fort suspectes, se mit en devoir de l’interroger de nouveau ; mais les hautes broussailles qui craquèrent subitement derrière nous attirèrent son attention d’un autre côté. Je crus voir Planillas pâlir malgré son impudence à toute épreuve. Un homme petit et trapu, taillé en athlète, et d’une physionomie plutôt joviale que rébarbative, était devant nous. Il nous salua poliment et s’assit à terre près de Planillas. Sa bouche essayait de sourire, mais son regard fauve et perçant comme celui des oiseaux de proie démentait cette expression de feinte gaieté. Nous gardâmes le silence quelques instans. Ce fut le nouveau venu qui prit le premier la parole.

— Vous parliez tout à l’heure, si mes oreilles ne m’ont pas trompé, d’un certain don Tomas ? Serait-ce, par hasard, de don Tomas Verduzco qu’il était question ? dit-il de cet air doucereux qui formait un si puissant contraste avec son regard. Cette simple question, provenant d’un homme qui m’inspirait une répugnance instinctive, me parut comme une insulte.

— Précisément, lui dis-je en faisant effort pour garder mon sang-froid.