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qu’on appelle un bassin d’environ quatre-vingts lieues de circonférence borné du côté de Guanajuato par la Cordilière.

Inondé tour à tour et tour à tour desséché, le Bajio présente en toute saison un aspect singulièrement pittoresque. Dans le temps des pluies, l’hiver de ces heureux climats, le ciel, qui perd son azur sans rien perdre de sa tiédeur, verse à flots sur ces plaines de fécondans orages. Le Bajio n’est plus, quelques heures par jour, qu’un vaste lac inégalement coupé de flaques de verdure, de collines bleues, de villes aux maisons blanches, aux coupoles émaillées. Sur cette nappe liquide, les cimes toujours vertes des arbres révèlent seules au voyageur les capricieux méandres des routes inondées. Bientôt cependant le sol altéré a bu l’eau du ciel par les gerçures sans nombre que huit mois de sécheresse ont ouvertes à sa surface. Une couche de limon, déposée par les eaux pluviales et par les torrens descendus de la Cordilière, a fait pénétrer des sucs nouveaux dans la terre appauvrie ; le ciel a repris sa limpidité première. Les sources dégagées de la croûte qui les obstruait jaillissent plus abondantes au pied de l’l’ahuehuetl[1]. L’arbre du Pérou, le gommier, le huisache aux fleurs d’or sur lesquelles sifflent les cardinaux au plumage écarlate, ombragent et parfument les routes raffermies. Le chant des muletiers et les clochettes des mules retentissent au loin mêlés au grincement aigu des chariots campagnards ; c’est aussi le temps où l’Indien laboureur retourne à ses travaux. Comme le berger des Géorgiques, avec ses cothurnes de cuir, sa tunique courte et ses jambes nues, il pousse paresseusement de l’aiguillon les bœufs attelés à sa charrue, et telle est la fécondité de cette terre, que des moissons splendides ne tardent pas à couvrir le sol à peine effleuré par le soc.

Ce n’est pas dans la plaine toutefois que la nature s’est montrée le plus prodigue pour les heureux habitans du Bajio. Au-dessus des champs fertiles qui avoisinent Guanajuato, la Cordilière dresse ses crêtes métallifères, dont les flancs sont gonflés d’artères d’argent et d’or, et livre à la pique du mineur les incalculables trésors de la Veta Madre[2]. Le contraste que présentent les mœurs si distinctes du laboureur et du mineur ne se révèle nulle part plus nettement que dans cette partie du Bajio. Humble et soumis, l’agriculteur indien est à la merci de tous ; fier et indompté, le mineur a la prétention de ne relever que de ses pairs, et cette prétention est justifiée, il faut bien le reconnaître, par l’importance du rôle qu’il remplit. Condamné à d’obscurs travaux dont

  1. On nomme ainsi une espèce de cèdre dont la présence indique presque toujours le voisinage d’une source soit cachée, soit jaillissante. Ahuchuetl veut dire en indien seigneur des eaux.
  2. La Veta Madre, qu’exploitent les sociétés minières de la Valenciana, de Cata, de Mellado, de Rayas, fut découverte par le mineur français Laborde, et a fourni, dans l’espace compris entre 1829 et 1837, à peu près 150 millions de francs.