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1840, exclusivement occupée du soin de gagner les esprits, voulant surtout montrer la force pacifique de la persuasion, la Société démocratique avait déployé ou provoqué une activité intellectuelle dont aucune émigration n’a donné l’exemple. Traductions, revues, journaux, manuels, catéchismes, vinrent tomber ensemble de la Pologne de l’exil dans la Pologne de l’étranger pour y allumer, pour y entretenir le feu national, pour tourner ce feu purificateur et dévorant contre tout ce qui n’était pas association fraternelle, égalité des droits, amour désintéressé des masses populaires. Contre ces aristocrates, dont l’entêtement ou l’inertie neutralisaient leurs efforts, les démocrates polonais empruntèrent, sans toujours choisir, les armes que leur fournissait la démocratie la plus avancée en France, en Angleterre et en Allemagne. Ils se mirent au pied de toutes les tribunes d’où l’on parlait à tort ou à raison de l’oppression d’un peuple ou d’une classe, et plus l’orateur était violent, plus son éloquence leur semblait s’accommoder aux besoins de leur pays, si même elle ne répondait pas à l’état du sien. Obligés de frapper de grands coups sur cette terre endurcie qu’ils voulaient rendre au sentiment de la vie patriotique, ils prenaient les argumens de toutes mains, et ne s’amusaient pas à discerner les fausses notes. Ce fut ainsi qu’ils reproduisirent dans un pêle-mêle souvent bizarre les manifestes parlementaires du libéralisme constitutionnel de l’Allemagne, du radicalisme anglais, de l’extrême gauche française. Vers le même temps, ils publiaient en polonais les travaux de Bentham et de Rousseau sur la Pologne, le Livre du Peuple et les Paroles d’un Croyant, de M. Lamennais, les extraits de la Démocratie en Amérique de M. de Tocqueville, de l’Histoire de dix ans de M. Louis Blanc, des Discours à la nation allemande de Fichte. Enfin, lorsqu’éclata, chez nous, la guerre de pamphlets contre les jésuites, ils traduisirent et multiplièrent chez eux les livres de M. Michelet et de M. Quinet.

A côté de ces traductions ont paru simultanément trois recueils périodiques, édités aussi par la Société : la Revue historique, le Démocrate polonais et le Pfzonka. La Revue historique, composée de volumes détachés, a tiré des œuvres savantes de Schafarik, de Lelewel, de Maciejowicz, de sérieuses notices sur les institutions primitives des Polonais et des Slaves ; elle a rappelé la vie et les exploits des héros populaires ; elle a enregistré toutes les hontes de l’ancienne oligarchie. Le Démocrate polonais est un organe de polémique quotidienne. Le Pfzonka, Journal satirique, vieux souvenir de la joyeuse société de Babin au milieu des amertumes de l’exil[1], le Pfzonka poursuivit l’aristocratie de ses mordantes

  1. La société de Babin, qui tirait son nom d’un village du palatinat de Lublin, était une espèce de parodie politique organisée, un charivari en action. Les sociétaires décernaient publiquement des titres dérisoires aux fonctionnaires de l’état qui mécontentaient l’opinion, et ceux-ci appréhendaient toujours d’être inscrits d’office parmi les dignitaires de ce royaume des fous. Le fondateur de cet institut satirique et burlesque, qui date de 1548 et dura peu, s’appelait Przonka ou Pfzonka : son nom est resté populaire.