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montait à cheval et partait pour Roa, ville que le roi, pendant sa captivité à Toro, avait cédée à sa tante, la reine douairière d’Aragon. Elle ignorait la mort de son fils don Juan et vivait sans défiance avec sa bru doña Isabel de Lara, lorsque Hinestrosa, s’étant fait remettre au nom du roi les clés de la ville, se présenta devant elle et s’assura de sa personne. Le lendemain, don Pèdre, qui le suivait de près, arriva de Bilbao pour ordonner que les deux princesses fussent transférées au château de Castrojeriz qu’il avait donné en apanage à Hinestrosa. Le dévouement du châtelain lui répondait que ses prisonnières ne lui échapperaient pas. De Roa, le roi se rendit à Burgos, où il demeura quelques jours, pendant que du nord et du midi ses arbalétriers lui apportaient, pendues à l’arçon de leurs selles, les têtes des chevaliers qu’il avait proscrits en quittant Séville[1]. Nul autre que don Tello n’avait échappé à sa vengeance. Cependant. elle n’était pas assouvie encore, et il se préparait à partir pour Valladolid, rêvant de nouvelles exécutions, lorsqu’il apprit que le comte de Trastamare, sur la nouvelle de la mort de son frère, avait commencé les hostilités dans la province de Soria[2]. D’un autre côté, l’infant don Fernand, qui occupait Alicante et Orihuela, faisait des courses jusque dans la plaine de Murcie[3]. Malgré l’inexécution des articles signés à Tudela, la trêve entre la Castille et l’Aragon n’avait pas été dénoncée, et la prise de Jumilla par le maître de Saint-Jacques n’avait pas encore été suivie de représailles. Les incursions de don Fernand et de don Henri, exécutées sans l’autorisation de Pierre IV, étaient comme un défi jeté par eux au meurtrier de leurs frères. Don Pèdre, quittant Burgos à la hâte, se porta de sa personne vers la frontière de Soria ; mais déjà le Comte, après avoir brûlé quelques villages, était rentré en Aragon à la première démonstration de résistance qu’il avait rencontrée. Dans le royaume de Murcie, don Fernand n’avait pas obtenu plus de succès, et, après une attaque inutile contre Carthagène, il s’était retiré avec quelque butin, emmenant des Maures et des Juifs, qu’on vendait comme esclaves lorsqu’on n’en pouvait tirer rançon. Le roi, après avoir écrit à Pierre IV pour se plaindre de l’invasion de don Henri et de la rupture de la trêve[4], laissa quelques troupes en observation sur la frontière et revint à Séville pour achever l’armement de sa flotte. Contrairement aux usages diplomatiques de l’époque, ce fut un simple arbalétrier de sa garde qu’il chargea de porter sa lettre au roi d’Aragon, et cet oubli des formes paraît avoir vivement offensé ce dernier. Après avoir répondu par d’amères récriminations, il envoya au roi de Castille un cartel chevaleresque, le défiant à un combat en champ

  1. Ayala, p. 247.
  2. Ibid., p. 248.
  3. Ibid., ibid. — Carbonell, p. 186 et suiv.
  4. Arch. gen. de Ar. Autografos. Almazan, 10 juillet, ère 1396 (1358).