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À côté de cette bataille enragée que la Société démocratique livrait aux aristocrates, ce n’était plus grand’chose, au premier abord, que le tiraillement perpétuel des trois autres partis qui lui disputaient sa route, le triple assaut des ultra-catholiques, des républicains purs et des furieux. Les premiers cependant lui soutiraient les ames avec un art infini, et les autres, par leur déplorable impatience, l’obligèrent malheureusement à passer avant le temps de la propagande aux complots cette précipitation pernicieuse que Mochnacki nommait un crime fut imposée à la Société démocratique par des dissidens qui, malgré elle, se portaient ses auxiliaires.

L’influence proprement catholique se développa très naturellement dans l’émigration. Soumise, par son séjour en France, aux vicissitudes de la pensée française, l’émigration polonaise eut son parti catholique comme nous avons le nôtre. L’esprit jésuitique s’empara fort adroitement de cette religiosité vague qui séduisait les cœurs des exilés après la ruine de leur patrie, comme elle en séduisit tant chez nous après les rudes froissemens qui vinrent déconcerter toutes les exaltations de 1830. De là, on arriva bientôt à dire que la Pologne, étant une terre catholique, ne pouvait être sauvée que par le catholicisme, infaillible argument de toutes les religions qui tournent à la politique. On prouva très sérieusement que, si la Pologne avait été démembrée, c’était la faute de Voltaire, et certains aristocrates oublièrent les abus de la vieille tyrannie seigneuriale pour ne plus reprocher à leurs pères que d’avoir été, au XVIIIe siècle, des philosophes et des incrédules. Un ordre fondé à Paris, et dont les statuts se trouvèrent par hasard presque littéralement semblables à ceux des jésuites, prit en main la direction de tout ce côté des affaires polonaises ; il les conduit encore avec une dextérité incontestable et ne laisse point admettre qu’il y ait de patriotisme efficace sans la haute dévotion. J’admire et j’aime la devise que le comte Balbo propose à l’Italie : L’indépendance pour but et la vertu pour chemin ! Aux peuples opprimés, il faut souhaiter toutes les vertus comme antidote de la servitude, toutes, excepté la vertu trop chrétienne de la résignation mystique. Ce n’est point tirer un peuple d’esclavage que de changer sa prison en couvent. L’ascétisme est la tombe où s’endorment les douleurs nationales ; ce n’est point le berceau des résurrections. Si la providence se plaît aux prières humaines, est-il donc une plus chaude prière que le sang des martyrs ? Voilà comme raisonnait la démocratie polonaise quand elle combattit si vivement la réaction ultra-catholique dont le flot la gagnait. — Ce n’est point la Pologne, disait-elle aux plus habiles représentans de cette réaction, ce n’est point la Pologne qui est votre patrie, c’est Rome ; si vous faisiez la guerre, ce ne serait point une guerre de liberté, ce serait une guerre de religion, un attentat contre notre siècle et notre cause. Mais cette guerre même, voulez-vous la