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fruits pour leur compte, à la charge de cultiver en corvées la portion que le seigneur lui-même se réserve pour son revenu propre. Dans l’exagération nécessaire de toute doctrine qui fait sa trouée, les démocrates entendaient doter immédiatement les chaumières sans indemniser les châteaux. Dominés par l’ardeur avec laquelle ils poussaient leur principe, ils ne se préoccupaient ni des difficultés pratiques ni des moyens d’exécution. Les principes n’entreraient jamais nulle part s’ils n’étaient d’abord ainsi chassés comme un coin par un marteau ; en Pologne pas plus qu’ailleurs, les modérés ne doivent manquer pour accommoder ensuite les principes aux réalités, pour appliquer les moyens termes. En Pologne au contraire plus qu’ailleurs, la tâche des modérés sera facile ; car cette théorie de dépossession n’est pas là du moins une vague théorie socialiste, ce n’est pas même le fruit ardent de quelque enthousiasme pareil à celui qui dépouilla la noblesse française dans la nuit du 4 août ; c’est un calcul de nécessité.


« Le propriétaire veut partager son capital avec le travailleur parce que les conditions auxquelles la conquête étrangère le laisse posséder les ruinent et les avilissent tous les deux au profit unique de l’étranger, lequel ne peut gouverner qu’une nation ruinée et avilie. Le tiers des terres possédées aujourd’hui rapporterait le double de ce qu’elles produisent tout entières si elles étaient réparties entre des propriétaires libres… Gratifier la population des campagnes d’une dotation foncière, c’est tout bonnement une application urgente de la faculté dont jouit le plus rigide égoïste de donner à la vache le foin qu’il ne peut pas manger lui-même, afin d’en obtenir du lait. »


Voilà pourtant à quoi se rapportait cette accusation de communisme sous laquelle on a tenté d’ensevelir les efforts de la Société démocratique en les calomniant ! Il y a des choses qui sont d’autant moins dangereuses par elles-mêmes, que le nom seul en devient tout de suite un épouvantail ; le vrai danger qu’ont réellement ces choses-là, c’est que leur nom sert toujours aux desseins particuliers de ceux qui font semblant d’en avoir peur. C’est peut-être la Russie qui s’est montrée le plus effrayée depuis dix ans de ce grand mot de communisme, pour ses voisins assurément et non point pour elle ; pure charité russe ! Maintenant qu’il est de mode chez nous de s’alarmer aussi beaucoup du même fantôme, n’oublions pas trop d’où nous arrive le goût de ces alarmes suspectes. « Ce mot de communisme, disait Mieroslawski devant ses juges avec l’étrangeté poétique de son langage, c’est un prétexte de pâture pour le sphinx qui garde le tombeau de la Pologne. » La Société démocratique polonaise est toujours en effet restée complètement étrangère aux prédications communistes de la France et de l’Allemagne ; elle a expressément écrit dans son catéchisme que le droit de propriété était inhérent au travail dont il découlait ; elle a basé sa propagande sur la