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modernes, parce que la société polonaise était restée trop en dehors des lois auxquelles obéissent désormais toutes les sociétés. La Pologne ne reviendrait donc à son rang parmi les nations qu’après s’être rajeunie et comme retrempée dans la pratique bienfaisante du régime qu’elles ont toutes accepté. Telle étant la règle nouvelle assignée dorénavant à la propagande révolutionnaire, celle-ci dut d’abord se régénérer pour entamer à nouveau la régénération de la patrie. La Société démocratique se voua, dès son origine, au service de cette grande conception. Qu’elle ait souvent, à force de violence, dépassé le but marqué par Mochnacki, qu’elle ait attaché une prédilection trop exclusive au nom trompeur et dangereux de république, qu’elle ait négligé dans l’entraînement des théories l’exacte mesure du possible, c’est justice de lui faire tous ces reproches ; mais en voyant la constance avec laquelle, pendant quinze ans, elle a propagé sans relâche l’idée-mère d’où elle émane ; en comptant les sacrifices qu’elle s’impose, les soldats, les héros qu’elle fournit à sa cause ; en retrouvant jusque dans l’esprit de ses plus obstinés adversaires l’influence de ses exemples et la trace certaine de son autorité, on ne saurait se refuser à croire que la révolution sociale ne s’accomplisse un jour ou l’autre sur cette terre où tant d’efforts l’appellent ; on ne saurait admettre que ce pays lui-même soit un pays condamné, quand il possède encore des fils si admirables ; on ne saurait s’empêcher de redire, avec l’hymne des légions de Dombrowski : Non, la Pologne n’est pas perdue !

Fondée à Paris le 17 mars 1832, la Société démocratique polonaise obéit à un comité de centralisation qui a été successivement transféré de Paris à Poitiers, et de Poitiers à Versailles. L’acte d’accusation élaboré par la justice prussienne représente très fidèlement le mécanisme organique de cette société formidable ; il la suit dans les différentes phases de son histoire depuis 1832 jusqu’à l’époque’ où éclata le complot de Posen. Ce qui convient le mieux ici, c’est de donner un aperçu des doctrines qu’elle a dès l’abord inaugurées.

Régulièrement systématisées par le comité de centralisation, ces doctrines se résumaient en trois points capitaux qui étaient comme autant d’articles de foi gravés dans le cœur des démocrates : liberté pour tous et possibilité pour tous de réaliser la liberté ; — pour tous, égalité des devoirs et des droits ; — participation de tous les Polonais à la délivrance de la patrie commune. Le moyen d’arriver à la liberté, c’était d’abolir le servage et de donner aux paysans affranchis une part suffisante dans la propriété du sol. Le moyen d’introduire l’égalité, c’était d’établir une république sur le modèle américain. Le moyen d’intéresser tous les Polonais à la guerre de délivrance, c’était de proclamer la restauration de la Pologne dans ses frontières de 1772.

De ces trois points, le premier était évidemment le seul qui constituât