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mesure tout le chemin que les défenseurs de la nationalité polonaise ont depuis lors parcouru dans leurs doctrines, il est impossible de ne pas rendre hommage aux pionniers généreux qui ont frayé la route. Cet hommage appartient d’abord et par excellence à la Société démocratique. Je ne dissimulerai ni les excès ni les erreurs qui ont gâté sa conduite ; mais, malgré les unes et malgré les autres, il est évident que la Pologne lui doit l’impulsion la plus efficace qui ait encore contribué au développement de son avenir. Les faits sont là pour en témoigner, des faits peu connus dont il est maintenant permis de révéler l’histoire.

Qu’on se reporte seulement dans la Pologne de 1830, qu’on se rappelle la situation morale du pays, soit à la veille, soit au lendemain de la révolution : il deviendra plus facile de saisir la situation présente, parce qu’on aura la conscience plus claire du grand changement qui s’est accompli. En 1830, on comptait deux partis à Varsovie, deux partis encore intérieurement subdivisés, mais sans qu’aucune de leurs branches eût pris ce nom de démocratie qui devait plus tard apparaître sur la terre d’exil. Il y avait le parti du mouvement et le parti stationnaire, le premier recruté surtout dans les rangs de la petite noblesse, l’autre formé par la noblesse supérieure. Le premier, nourri dans les écoles militaires de Varsovie et dans l’université de Vilna, sympathisait d’autant plus volontiers avec le paysan et le bourgeois, qu’il vivait en défiance perpétuelle des hauts seigneurs, des pany. Ces sympathies néanmoins ne se précisaient point assez pour aboutir à quelque résultat pratique et fortifier réellement ceux qui les ressentaient. On protestait à Vilna contre les tendances brutales de l’oppression moscovite en s’adonnant avec ardeur aux études libérales, en s’appropriant les œuvres de la science allemande. Goluchowski enseignait la philosophie de Fichte et de Schelling, Lelewel initiait ses élèves aux recherches de Niebuhr et de Heeren, Mickiewicz s’inspirait alors de Schiller et de Goethe. Ces nobles travaux servaient sans doute à relever les ames, mais il s’en fallait qu’ils assurassent un but positif à leur activité ; aussi, des deux groupes qui constituaient le parti du mouvement, pas un n’était prêt pour aborder sérieusement l’œuvre publique de la régénération. Les nationaux n’avaient autre chose en tête que de chasser le tsar, et, comme on disait, de balayer le pays, sans plus s’inquiéter de ce qui suivrait. Les républicains endossèrent ce nom-là parce que les Russes le détestaient ; mais ils n’étaient fixés sur aucune forme de république tout leur républicanisme était proprement le désir qu’ils avaient d’abolir le servage et de généraliser l’insurrection au lieu de la renfermer dans les limites de la Pologne de 1815. Hors ce double point, il ne restait plus chez eux que du vague, et ce vague de leurs idées, encore aggravé par le caractère irrésolu de Lelewel, qui les commandait,