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charme était rompu. Quelque penchant qu’on eût « pour ces limbes mystérieuses et redoutables du panslavisme, » il y avait de quoi reculer quand on découvrait le colosse moscovite assis dans leurs ténèbres comme le Satan de Dante au fond des cercles de l’enfer. Tous les intérêts, tous les instincts, se soulevaient d’horreur. Le gros des propriétaires posnaniens, la lente et lourde armée des indifférens et des neutres, qui se traîne ordinairement à la remorque de la jeune Pologne, regimba contre cette autre espèce d’agitateurs ; le plus vulgaire bon sens se révoltait chez les plus mous. Puis, exhorter le paysan à devenir russe, c’était lui demander s’il serait aise qu’on l’enrôlât pour le Caucase, comme son voisin de la Mazovie. Enfin tout ce parti qui a voulu s’appeler la démocratie dans le pays des gentilshommes, cet héroïque parti toujours debout, même après le désastre de sa conspiration avortée, s’attaqua passionnément à la russomanie. Il la dénonça comme un crime de lèse-nation, et mit le crime à la charge des aristocrates. C’est contre la Lettre du Gentilhomme gallicien que Louis Mieroslawski a lancé de sa prison ce fougueux réquisitoire publié tout récemment par les presses de Leipzig ; c’est contre l’aristocratie qu’il retourne ce trait empoisonné, que l’aristocratie aurait, à l’en croire, dirigé de ses propres mains contre la patrie polonaise. « Pour chercher, s’écrie-t-il, un pacte d’alliance entre la Pologne et la Russie, pour le déchiffrer dans l’apparition des Tcherkesses et des Cosaques à Cracovie, le yatagan au poing et le rire du diable sur les lèvres, il fallait une aristocratie bannie de la cité nationale, incapable de mourir avec dignité ou de vivre avec esprit. »

La russomanie a donc échoué, tout au moins jusqu’à présent, soit en Gallicie, soit à Posen : elle a échoué devant la répulsion des masses, devant la répulsion plus vive encore du parti qui apporte le plus d’audace dans son patriotisme. Ce délire passé, comme passe le délire d’une fièvre, les esprits sont retombés sur eux-mêmes, et, face à face avec la situation, ils ont été saisis non plus d’angoisse, non plus de colère, mais d’une mortelle tristesse qui les a détendus.

Ce serait aujourd’hui là, dit-on, un autre mal à guérir, un accès de faiblesse qui, si l’on ne s’en tirait, aurait bientôt relâché toutes les fibres nationales. Déjà presque on s’abandonnerait à la tutelle de l’étranger, tant on s’exagère sa propre impuissance, et l’on aurait un tel besoin de repos qu’on tâcherait même de ne plus se souvenir. Cette langueur a particulièrement gagné la Gallicie. Le contre-coup des massacres se sent encore dans la malheureuse province ; l’ordre social étant si rudement ébranlé, qu’il faut s’occuper avant tout de le rétablir, la noblesse polonaise est bien obligée de s’entendre avec la bureaucratie autrichienne pour s’employer utilement. Le dommage serait que, dans ce compromis trop nécessaire, elle eût plus que de raison sacrifié l’avenir et se fût livrée sans réserve. Quant aux Polonais de Posen, ils