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ordre de don Tello, paraît avoir été l’ame de cette résistance énergique. On doit voir en lui un de ces grands citoyens, un de ces chefs nationaux, à peine connus hors de leur province, mais qui, représentans des intérêts populaires, exercent sur leurs compatriotes une autorité sans limites. La dernière guerre civile de l’Espagne a montré tout le pouvoir de tels chefs. En s’attachant Avendaño, don Pèdre avait préparé la conquête de la Biscaïe. Maintenant il se présentait comme son vengeur, et c’est pourquoi il fut reçu à bras ouverts. Son premier soin fut de s’entourer des principaux citoyens de la seigneurie de Biscaïe. Présens, flatteries, promesses, le roi n’épargna rien pour les gagner. Le moyen le plus sûr, celui qu’il mit habilement en usage, fut d’affecter le plus grand respect pour leur indépendance. Aussi publiait-il qu’après avoir délivré les Biscaïens d’un seigneur qui les opprimait, il laissait à l’assemblée nationale le soin d’en élire un nouveau. Cependant, de tous côtés il mande les députés de la province, et, comédien d’autant plus habile que le rôle qu’il jouait n’était pas entièrement feint, il se montre à leurs yeux comme le vengeur du peuple et l’ennemi des tyrans féodaux dont il a déjà tant réduit la puissance. Un jeune prince rempli d’ardeur et de feu, causant familièrement de ses projets avec ces libres montagnards, gagna facilement leur confiance. D’un autre côté, don Juan d’Aragon, qui suivait le roi depuis Séville, leurré par ses promesses, réclamait hautement la seigneurie de Biscaïe et le pressait de faire reconnaître ses droits. Le roi, prodigue de sermens, lui répétait qu’il n’était venu à autre intention, et l’assurait que le consentement de la diète n’était qu’une vaine formalité, et qu’il était certain de l’obtenir. Il convoque aussitôt les députés biscaïens à Guernica et se rend lui-même à cette réunion, toujours tenue en plein air, selon une coutume antique, sous un arbre, objet d’une vénération presque superstitieuse pour les habitans de la Biscaïe[1]. Là, le roi, dans un discours étudié, reconnaissant d’abord l’indépendance absolue de la diète, l’entretint des droits que don Juan tenait de sa femme, seconde fille de Nuñez de Lara, et son héritière depuis la déchéance de don Tello et de doña Juana. Il conclut en demandant aux députés s’ils voulaient reconnaître don Juan pour leur seigneur. A peine eut-il achevé qu’un cri s’élève : « Jamais la Biscaïe n’aura d’autre seigneur que le roi de Castille. Nous n’en voulons point d’autre ! » Ce cri poussé par dix mille voix était l’expression de l’orgueil et du bon sens national. Puisqu’il fallait avoir un seigneur, les Basques voulaient que ce seigneur ne fût le vassal de personne[2].

  1. Dans la dernière guerre civile, les troupes de la reine, chaque fois qu’elles entraient à Guernica, coupaient le peuplier autour duquel se réunissaient les députés des trois provinces, et autant de fois les Basques en replantaient un autre dès que l’ennemi s’était éloigné.
  2. Selon la tradition reçue en Biscaïe, la seigneurie aurait été gouvernée par la même famille depuis le neuvième siècle jusqu’au quatorzième. Lope de Zuria, qui avait défendu avec succès la province contre Alfonse, roi de Léon, fut élu seigneur en 860. Sa race s’éteignit avec doña Juana de Lara, femme de don Tello. On dit que Lope de Zuria fut le premier des seigneurs de Biscaïe qui prêta solennellement le serment d’observer les franchises du pays. Un des premiers articles est celui-ci : « Tout ordre du roi ou du seigneur qui sera ou pourrait être contraire aux franchises de la Biscaïe, sera obéi et non accompli. » C’est une fiction constitutionnelle comme ce texte de la Magna Charte : The king cannot be wrong.