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— Heureusement que M. l’abbé t’en empêchera, répliqua vivement Clémentine ; le digne homme doit aimer son repos, il devient vieux.

— Lui, vieux ! interrompit Antonin ; il n’a guère plus de cinquante ans ; c’est l’âge qu’avait Christophe Colomb lorsqu’il partit pour aller découvrir l’Amérique. D’ailleurs, ne s’est-il pas reposé assez longtemps ? songe que, depuis vingt ans passés, il est à la même place.

— Et tes préparatifs de voyage seront bientôt finis ? reprit Mlle de l’Hubac en contenant à peine sa douleur, tu partiras bientôt ?

— Demain au point du jour, répondit-il avec un soupir.

— Oh ! mon Dieu murmura Mlle de l’Hubac en pâlissant, puis elle fondit en larmes, et, jetant ses bras au cou d’Antonin, elle dit d’une voix étouffée par les sanglots — Demain !… tu pars… tu t’en vas en Italie et plus loin encore, peut-être. j’aurai beau te chercher, t’appeler tu ne me répondras pas, et je ne te verrai plus !… Ah j’en mourrai de chagrin… En parlant ainsi, elle cachait son visage sur l’épaule du petit baron et lui serrait les mains comme pour le retenir.

— Ma bonne Clémentine, s’écria-t-il les larmes aux yeux et en se dégageant doucement de cette étreinte, va, j’éprouve aussi une grande peine de cette séparation ;… mais voyons, sois raisonnable, ma chère petite sœur, nous sommes si jeunes tous deux, que nous aurons encore bien des années à passer ensemble quand je serai revenu de mes voyages. Tout ce que j’aurai vu, je reviendrai un jour te le raconter, et je te rapporterai de belles collections d’histoire naturelle…

— Tout cela ne me console pas à présent, s’écria-t-elle en pleurant toujours.

— Écoute, ma bonne Clémentine, tu ne sais pas bien clairement ce que tu veux, reprit le petit baron d’un air triste et attendri ; hier tu disais que notre mariage te ferait mourir de chagrin, et j’ai tâché d’empêcher un si grand malheur. Aujourd’hui tu te désespères parce qu’il nous séparer. Que veux-tu donc que je fasse ?

— Je n’en sais rien murmura-t-elle tout éplorée.

— Tu veux que je reste ? ajouta le petit baron. — Elle fit un signe affirmatif.

— Pour cela il n’y a qu’un moyen, dit-il après un moment de silence, c’est de se soumettre à la volonté de nos parens. Moi, j’y consens, car tu es la personne du monde que j’aime le mieux, et je n’ai rien tant à cœur que de te voir heureuse. Pour toi, je renoncerais volontiers à mes projets de voyage autour du monde, à mes collections, à tout. Voyons, Clémentine, veux-tu que j’aille me jeter aux pieds de mon oncle pour lui faire nos soumissions et lui dire que nous consentons tous deux à notre mariage ?

Il y a dans toutes les existences humaines un moment suprême où se décide sans retour leur bonne ou leur mauvaise destinée, ce