Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/663

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Enfin, me voici ! … quelle journée, Antonin ! — Et sans se donner le temps de reprendre haleine elle ajouta : — Raconte-moi bien vite ce qui s’est passé, et dis-moi, si tu le sais, pourquoi ma tante Joséphine est venue me signifier ce matin l’ordre de rester dans ma chambre.

— Parce que tout est fini, répondit le petit baron, parce qu’on te punit, ainsi que moi, d’avoir refusé ce mariage, résolu depuis long-temps à notre insu par mon oncle.

— Comment je ne te comprends pas ; qu’as-tu donc fait, Antonin ? demanda-t-elle avec quelque inquiétude.

— Une chose fort simple, répondit-il, j’ai fait ce que tu as voulu. Et s’asseyant auprès d’elle, il ajouta en lui prenant la main Te rappelles-tu, Clémentine, qu’un jour tu écrivais à Mlle de Verveilles que, lorsque je serais un homme, tu pourrais compter sur moi ? Eh bien ! je me suis souvenu de cela, et, quoique tu m’aies dit hier que je n’étais encore qu’un enfant, j’ai résolu de te sauver, si c’était possible, du malheur que tu redoutes tant. Ce matin, j’ai déclaré en présence de mon oncle, de ma mère, de ta tante Joséphine, que je ne voulais pas me marier, je l’ai déclaré fermement et en jurant sur ma foi qu’on ne parviendrait jamais à contraindre na volonté.

— Grand Dieu ! s’écria Mlle de l’Hubac, et qu’a fait alors M. le marquis ?

— Il m’a regardé avec des yeux terribles et m’a commandé de rétracter sur-le-champ mes paroles ; mais je n’ai pas eu peur de sa colère ni de l’indignation de ta tante Joséphine, qui me faisait des menaces et j’ai persisté. Mon oncle ne m’a plus rien dit ; mais, voyant, pour la première fois de sa vie peut-être qu’on osait lui désobéir, il est devenu blême de fureur. Ma mère, qui jusqu’alors avait gardé le silence a tenté de l’apaiser, il ne l’a point écoutée, il s’est écrié que le m’étais rendu indigne de lui appartenir, et qu’à mon exemple, tu avais manqué de respect et à la soumission qui lui sont dus ; ensuite il nous a traités tous deux d’enfans pervers, de rebelles, et il m’a ordonné de sortir de sa présence.

— Ainsi, te voilà tombé aussi dans sa disgrace, dit tristement Clémentine sans doute, mon pauvre Antonin, il t’a commandé de rester en prison dans ta chambre ?

— Au contraire, répondit le jeune baron, il m’a chassé du château et m’a défendu de reparaître jamais à la Roche-Farnoux.

— Et où iras-tu, mon Dieu : s’écria Mlle de l’Hubac.

— Ne te mets pas en peine, répliqua-t-il vivement ; j’ai un grand projet.

— Mon Dieu ! mon Dieu : ou iras-tu ? répéta-t-elle désolée.

— Ne t’afflige donc pas ainsi, ma bonne Clémentine, répondit le petit baron ; va, je suis bien content du parti qu’il m’a fallu prendre ; voici comme je me suis décidé : ce matin, en sortant de la chambre de mon oncle, j’ai couru chercher M. l’abbé, et je lui ai fait part de ce qui