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se calmer, afin de ne pas paraître le lendemain avec une physionomie toute bouleversée en présence du marquis ; mais Clémentine n’en tint compte, et, cachant son visage sur l’oreiller, elle continua de soupirer et de gémir, sans prendre garde aux consolations de Josette, laquelle, ayant compris qu’il s’agissait de mariage, s’efforçait de lui faire concevoir qu’il n’y avait pas lieu à se désoler ainsi.

Mlle de Saint-Elphège écouta l’horloge du château qui sonnait une heure après minuit et regagna sa chambre en murmurant : — Demain nous verrons bien ! Pauvre fille, quel aveuglement ! Elle se désespère parce que, au lieu de lui laisser choisir pour mari un homme intéressé dissipateur, un traître qui court après la part d’héritage que nous avons en dot, on la force d’épouser un aimable garçon, tout-à-fait jeune et bien fait, qui l’aime pour son mérite et sa beauté, et ne calcule pas sur les biens qui lui reviendront pour payer ses dettes !

Lorsque Mlle de Saint-Elphège entra dans la chambre de sa nièce le lendemain matin, elle la trouva déjà levée et ajustée comme elle le lui avait recommandé. La pauvre enfant était si abattue, sa physionomie exprimait une douleur si craintive, que Mlle de Saint-Elphège ne supposa pas qu’il y eût au fond de son ame la moindre intention de résistance. — Vous voilà prête, ma reine, lui dit-elle presque affectueusement c’est bien ; il est temps de descendre chez mon oncle. Allons un peu d’assurance et de vivacité ; vous ne devez pas paraître devant lui avec cet air dolent. Je vous trouve pâlotte ; mettez quelques rubans dans votre frisure, cela relève singulièrement le teint.

Mlle de l’Hubac se laissa pomponner docilement et suivit la tante Joséphine, qui l’emmena sur-le-champ à cette audience solennelle annoncée dès la veille.

Le marquis les attendait dans sa chambre à coucher, tout habillé déjà et raide sur son siège à dossier armorié. Il avait ainsi le fier maintien ressemblait à un des grands seigneurs féodaux ses ancêtres, prêt à recevoir l’hommage de ses vassaux et tenanciers. La Graponnière se tenait debout derrière lui et souriait d’un air discrètement satisfait, comme un subalterne honoré de quelque communication importante. Lorsque Mlle de l’Hubac parut conduite par sa tante Joséphine, le marquis fit le geste de se lever et lui dit gravement : — Approchez, mademoiselle ; je vous ai mandée pour vous faire part d’un dessein qui vous touche.

Clémentine alla droit devant lui, fit machinalement une révérence, et resta debout au lieu de s’asseoir sur le pliant qu’il lui montra à son côté.

Mlle de Saint-Elphège se rapprocha du marquis et lui dit à demi-voix : — Je l’ai prévenue, monsieur, et elle n’est pas encore remise du trouble où cette nouvelle l’a jetée ; excusez-la si elle ne répond pas grand’chose à ce que vous lui faites l’honneur de lui dire.