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qu’elle se leva en jetant un cri sourd et courut à la fenêtre ; mais déjà l’apparition s’était évanouie, et elle ne vit personne dans l’espace découvert à l’extrémité duquel s’élevait le donjon. La vieille fille demeura un moment immobile, et cherchant du regard à travers les ténèbres sombre qu’elle avait cru entrevoir, puis elle dit tout haut, en portant à ses yeux sa main tremblante : — J’ai rêvé !… Presque aussitôt cependant elle voulut s’assurer que sa nièce n’avait point quitté sa chambre, et, malgré l’heure avancée, elle alla frapper à la porte de Mlle de l’Hubac. Josette vint à l’instant lui ouvrir. — C’est vous, mademoiselle ! dit la suivante en faisant un effort pour ouvrir ses paupières chargées de sommeil. Sainte Vierge ! tout le monde veille donc cette nuit !

À ces mots, elle se rangea pour lui laisser voir sa jeune maîtresse encore levée et assise au fond d’un cabinet qui faisait suite à sa chambre. Mlle de l’Hubac avait commencé une lecture ; mais elle s’était arrêtée à la première phrase, et rêvait le coude appuyé sur les feuillets ouverts. Au bruit que fit Mlle de Saint-Elphège en entrant, elle se leva plutôt surprise qu’effrayée, et dit en souriant : — Vos aussi, ma tante, vous n’avez pu vous endormir.

— C’est le mauvais temps d’aujourd’hui qui me tient éveillée, répondit Mlle de Saint-Elphège, en s’asseyant. L’orage m’a donné sur les nerfs ; je suis tout agitée et ne puis tenir en place.

— Moi de même, dit ingénument Clémentine, c’est l’effet du tonnerre.

Mlle de Saint Elphège secoua la tête, se rapprocha de sa nièce, et lui dit avec intention : — Ce n’est pas l’orage qui cause votre insomnie, c’est plutôt un pressentiment…

— Est-ce qu’il va m’arriver quelque malheur ? s’écria-t-elle avec un mouvement naïf de frayeur et de curiosité.

— Au contraire, répondit vivement la vieille fille. Il s’agit d’un évènement qui comblera de joie tout le monde. Et comme Clémentine arrêtait ses beaux yeux étonnés et attendait sans oser l’interroger, qu’elle s’expliquât plus clairement, elle ajouta en baissant la voix : — Ma chère Clémentine, mon oncle fait pour vous ce qu’il n’a pas voulu faire pour moi ; il vous marie.

— Oh ! mon Dieu ! déjà ! s’écria Mlle de l’Hubac toute tremblante et le visage couvert d’une soudaine rougeur, mais sans aucune manifestations auxquelles s’attendait peut-être Mlle de Saint-Elphège. Ensuite elle appuya son front sur ses mains et demeura silencieuse. Mlle de Saint-Elphège la laissa un moment à ses réflexions ; puis elle reprit : — Vous voilà plongée dans une terrible perplexité et tourmentée d’une foule de suppositions ? Allons ! ne cherchez plus, et demandez-moi vite le nom de celui qui aura le bonheur d’être votre mari.