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— Certainement, répliqua le marquis ; j’ai d’autres desseins sur elle.

— Voilà une raison ! murmura le vieille fille.

— J’ai des desseins que je ne tarderai pas à déclarer, continua le marquis. Ma nièce, on verra bientôt de belles noces à la Roche-Farnoux.

— Est-il possible ! s’écria Mlle de Saint-Elphège ; en ce cas, M. de Champguérin ne serait revenu ici que pour signer au contrat de mariage de Mlle de l’Hubac ?

— Cela n’est point douteux.

— Et il assisterait en qualité de témoin à la cérémonie ?

— Cet honneur lui revient de plein droit.

— Ah ! quelle vengeance ! quelle satisfaction ! murmura la vieille fille. — Puis, feignant de n’avoir pas tout-à-fait compris la pensée du marquis, elle ajouta : — Quoique vous viviez fort éloigné du monde, bien des gens doivent briguer l’honneur de votre alliance. Vous n’aurez eu qu’à choisir entre les plus grands partis de la province et de la cour. Quel est l’heureux prétendant en faveur duquel vous êtes décidé ? Une personne très considérable sans doute ?

— Le marquis hocha la tête et dit après s’être recueilli un moment : — Voici une anecdote que je tiens de feu ma grand’tante, une demoiselle de Farnoux, morte sans alliance, à cent ans passés…

— Autrefois il disait près de cent ans, observa mentalement Mlle de Saint-Elphège.

— La bonne demoiselle savait beaucoup d’histoires du temps jadis, continua le marquis, et elle m’a maintes fois raconté celle-ci. Un jour, la reine Anne de Bretagne pressait fort le roi Louis XII, son mari, de refuser fille, Mme Claude, au duc François d’Angoulême, son cousin et de l’accorder en mariage à l’empereur d’Allemagne ou au roi de Hongrie. Sur quoi le bon sire lui répondit : « Ma mie, ne me parlez plus de roi ni d’empereur pour gendre, et retenez bien ceci : Il faut marier ses souris avec les rats de son grenier, si l’on veut rester toujours le maître chez soi. » Cette maxime me frappa singulièrement, et j’entends la mettre en pratique dans cette circonstance. Comprenez-vous, ma nièce ?

— Pas tout-à-fait encore, répondit-elle avec une feinte hésitation ; je cherche…..

— Et vous ne devinez pas s’écria le marquis en clignant les yeux ; ce sont toutes ces imaginations au sujet de Champguérin qui vous ont troublé l’entendement. Et après réflexion, il ajouta : Pourtant ce que vous venez de me dire m’oblige à manifester sans retard ma volonté et à conclure promptement l’alliance que j’ai résolue. Dans qui nze jours, le baron de Barjavel épousera Mlle Clémentine de l’Hubac.

À cette déclaration précise, Mlle de Saint-Elphège s’écria, transportée