Page:Revue des Deux Mondes - 1848 - tome 21.djvu/643

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

figure remarquablement belle et qui ont beaucoup réussi auprès des femmes, il était pour ainsi dire toujours sous les armes et se paraît de tous ses avantages ; mais il était évident que c’était sans aucun plan arrêté de séduction. Rarement il semblait s’occuper de Mme de l’Hubac, et il ne lui témoignait qu’un intérêt mesuré ; quoiqu’il se tînt aussi à distance de la baronne, il avait pour elle les plus grands égards et de charmantes attentions. Quant à Mlle de Saint-Elphège ; il lui rendait ouvertement des soins attentifs, qui ne dépassaient pas cependant les bornes de la plus insignifiante galanterie. Ces semblans suffisaient à la vieilles fille ; elle n’en était point la dupe, mais elle se complaisait dans cette sorte de jeu, ne supposant point qu’il servît à masquer des intentions plus réelles et des sentimens plus vifs.

Deux mois environ s’écoulèrent ainsi, et cette situation aurait pu se longer long-temps encore, si le hasard, qui met souvent à jour des mystères que les plus adroites investigations n’ont pu découvrir, n’eut éclaire Mlle de Saint-Elphège sur les sentimens secrets de sa nièce.

Une après-midi, tout le monde était réuni à l’ordinaire ans la salle verte. On était aux premiers jours caniculaires ; la chaleur lourde et suffocante qui régnait au dehors pénétrait jusque sous ces frais lambris ; l’air ne circulait plus à travers les hautes croisées contre lesquelles le soleil de juillet dardait ses flèches brûlantes, et l’atmosphère semblait chargé de fluides énervans. Les joueurs, accablés sous cette influence, promenaient nonchalamment les cartes sur le tapis vert ; les dames avaient laissé tomber leur ouvrage et suivaient la partie d’un regard indolent, le petit baron sommeillait dans un coin, et La Graponnière dormait tout de bon cette fois, les yeux fermés, la tête baissée sur sa poitrine.

Au bout de deux heures, M. de Champguérin se leva ; c’était la baronne qui devait entrer au jeu à son tour, et il lui céda la place. Depuis un moment Mlle de Saint-Elphège avait qui tté la salle ; Antonin aussi avait gagné la porte sans bruit ; l’abbé tenait les cartes en face du marquis, et La Graponnière dormait toujours d’un paisible sommeil. M. de Champguérin fit le tour de la salle, regarda les ouvrages de tapisserie posés sur le guéridon, et s’avança ensuite machinalement sur l’étroit balcon qui faisait saillie en dehors des croisées. Clémentine était là depuis un quart d’heure, accoudée à la balustrade de pierre, le front penché sur sa main, les yeux tournés vers l’horizon où s’amassaient des nuages que le soleil couchant commençait à teindre d’un rouge sanglant. Par momens, son regard se détournait des espaces lointains pour revenir vers le petit baron, qui vaguait sur la terrasse, épiant les insectes attirés hors de leur retraite par le souffle humide de l’orage près d’éclater sur les plateaux inférieurs.

Elle tressaillit intérieurement et se sentit pâlir lorsque M. de